Le Tchad a claqué « irrévocablement » la porte jeudi de la Force africaine en Centrafrique (Misca, 6.000 hommes). Prétexte évoqué : une « campagne malveillante » contre ses 850 soldats accusés à plusieurs reprises depuis l'arrivée au pouvoir en mars 2013 des rebelles musulmans de la Séléka de passivité face à leurs exactions, voire de connivence. « Malgré les efforts consentis, le Tchad et les Tchadiens font l'objet d'une campagne gratuite et malveillante, tendant à leur faire porter la responsabilité de tous les maux dont souffre la République centrafricaine », indique Ndjamena dans un communiqué. « Face à ces accusations répétées, le Tchad, après avoir informé la présidente de la transition centrafricaine, la présidente de la Commission de l'Union africaine et le secrétaire général des Nations unies, décide du retrait du contingent tchadien de la Misca », ajoute le texte. « Les modalités pratiques de ce retrait seront arrêtées de commun accord entre le Tchad et l'Union africaine », conclut le communiqué. « Notre contingent est déployé dans le cadre d'une mission internationale. Le week-end passé, des éléments tchadiens qui sont en mission, ont été appelés par le commandant de la force de la Misca pour venir à Bangui. Ils sont tombés dans une embuscade tendue par les anti-balaka. Naturellement, ils ont réagi. Cela a soulevé un tollé », explique Moussa Faki Mahamat, le ministre tchadien des Affaires étrangères. Selon la Misca et Bangui, les soldats tchadiens ont répliqué à une attaque à la grenade. Une version que les anti-balaka, le Haut-commissariat de l'ONU aux droits de l'Homme et la diplomatie française ont démentie. « Il semble que les soldats tchadiens aient tiré sans discrimination dans la foule », affirme à Genève, Cécile Pouilly, porte-parole du Haut-commissariat. Pour Romain Nadal, porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, la responsabilité incombe « pour une large part aux anti-balaka ». Catherine Samba Panza, la présidente centrafricaine de transition, a annoncé l'ouverture d'une enquête sur cette affaire. « Pour nous, poursuit le ministre tchadien, les milices anti-balaka ont été qualifiées par les forces internationales, notamment par la Misca et Sangaris, l'opération française en Centrafrique, comme des forces ennemies à la paix, et qui devraient être traitées comme telles. Il y a des responsables politiques, et pas des moindres, qui ont qualifié les anti-balaka de patriotes », et dit que les « Tchadiens sont venus tuer des citoyens centrafricains. Cette campagne a trop duré ». En attendant ce retrait, « le Tchad assumera sa mission de paix dans les zones relevant de sa responsabilité en RCA », a assuré N'djamena. « Nous venons d'apprendre avec beaucoup de regret l'annonce (...) du retrait », déclare le ministre centrafricain des Affaires étrangères Toussaint Kongo-Doudou. Nkosazana Dlamini-Zuma, la présidente de la Commission de l'UA, « prend acte » de cette décision tout en regrettant le départ du contingent tchadien. Certains pays de la région y voient une décision « lourde de conséquences », risquant de rendre plus complexe le retour de la paix en RCA. « Malgré ses défauts et ses faiblesses, le contingent tchadien reste l'un des meilleurs de la Misca », estime le Burkina Faso convaincu que « tant que les anti-balaka ne seront pas neutralisés, il sera difficile de remettre la RCA sur les rails ». A coup sûr, ce « retrait », au moment où les forces africaines et françaises, Sangaris (2.000 soldats) réclament des renforts pour pacifier le pays, est mal venu. Notamment pour Bangui. Même si l'Union européenne a décidé mardi d'envoyer une force de 800 hommes dans les prochains jours. Ce renfort suffirait à peine à combler le vide que laisseraient les troupes du président Idriss Déby Itno. Une autre question pourrait se poser à la Misca : comment mener à bien la difficile mission de protection des populations civiles, et en particulier musulmanes ? Un génocide comme celui du Rwanda en perspective dans cette ancienne colonie française rangée parmi les plus pauvres de la planète ?