Ce pays ne semble pas près d'en finir avec les démons de cette époque où les principes de sa république furent allègrement et cyniquement piétinés. La nouvelle génération qui tend à faire amende honorable à l'image du maire de Paris déclarant hier que «les massacres d'octobre 1961 sont un acte de barbarie que l'Etat français doit reconnaître » peine à se faire entendre. Malgré le travail méritoire d'historiens français qui comme Stora, Einaudi, ou les témoignages d'Algériens (nes) qui ont levé le voile sur la face noire de ce conflit, outre Méditerranée la vérité historique reste otage des calculs politiques. On a beau réaliser des films, des documentaires, éditer des livres, une grande partie de la classe et de l'opinion se complait dans l'indifférence. Au pire elle détourne le regard ou évite de nommer les choses par leur nom. Faut-il attendre le départ de la génération qui a vécu cette période d'affrontements et qui reste encore influente pour voir s'installer l'apaisement ? Peut-on rêver alors d'excuses pour les brutalités. De celles de la conquête à celles qui ont emmaillé un siècle et demi d'occupation et de résistance ayant culminé avec la Révolution. Il n'est sans doute pas fortuit que deux jours après la célébration des événements du 17 Octobre, on veuille procéder à l'installation demain d'une fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie. L'appellation ne doit pas tromper. C'est l'œuvre de l'armée et elle est boudée par de nombreux historiens qui voient mal le poids des associations influentes. Trois places du conseil d'administration réservées à trois associations qui apportent plus de 60% du budget : les «Gueules cassées», la Fédération nationale André Maginot et le Souvenir français. Elles sont toutes présidées par d'anciens généraux de l'armée française ayant combattu en Algérie. Si l'on ne célèbre plus d'une manière ouverte et éhontée les bienfaits de la colonisation, on n'emprunte pas pour autant le chemin d'une réconciliation qui s'appuierait sur la reconnaissance du caractère du colonialisme. Delanoe a trouvé les mots hier. «L'amitié entre les peuples algérien et français ne peut pas vivre sans courage et esprit de vérité». Le premier suppose de reconnaître que le colonialisme est ce système abject décrit par Fanon dans les «Damnés de la terre». Il est tout à la fois œuvre de pillage et de dépersonnalisation. Le second implique de s'éloigner de cette lecture biaisée de l'histoire. Celle ou l'on établit des symétries fallacieuses entre victimes de nature différente. Que la France reconnaisse et glorifie le rôle des harkis est dans l'ordre des choses. L'Algérie n'a pas connu une guerre civile où les Algériens se sont affrontés entre eux. La France durant la Seconde Guerre mondiale n'a pas traité de la même façon ses résistants et ceux qu'on traite du nom infamant de «collabos». Au-delà de l'instrumentalisation de la mémoire, le véritable débat est là. Pas ailleurs.