On regarde beaucoup la télé pendant le Ramadhan. Mis à part les niaiseries habituellement servies, le téléspectateur qui zappe entre les chaînes découvre une réalité qui n'a rien de réjouissant. Pour beaucoup de musulmans, pour la majorité en fait, les jours passent et se ressemblent. Pauvreté, insécurité, guerre, voilà leur lot quotidien. Chaque Ramadhan, ils implorent Dieu pour que ce mois sacré soit vraiment celui de la miséricorde, qu'une trêve soit observée par tous les belligérants, par tous les lobbies d'argent et de pouvoirs, afin de vivre quelques jours, quelques jours seulement, comme des gens normaux dans des pays normaux. Mais las, jusqu'à présent c'est demeuré un vœu pieu : le Soudan coupé en deux attend le coup de couteau suivant, la Syrie explose comme un baril trop plein, l'Irak écrasé fait sourdre ses derniers craquements, le Yémen n'est qu'un interminable brasier, la Libye s'ensable dans le chaos, la Tunisie se débat désespérément pour éviter le mortel dérapage, l'Egypte s'éveille à la fausse fraternité, l'Arabie saoudite expérimente le retour de feu, la Jordanie tremble sur son fragile trône, les Sahraouis peinent sous la botte de la monarchie marocaine incapable de cesser sa fuite en avant, le Liban prie pour ne pas être pris dans la tourmente, la Palestine dépecée continue d'affronter seule son interminable calvaire, l'Algérie vit toujours sous la menace des terroristes et des émeutes, les musulmans de Chine, du Nigeria, du Mali ou de Somalie, d'Afghanistan, de Thaïlande ou d'ailleurs, de bien d'autres ailleurs, ne connaissent que la souffrance... Après avoir connu l'oppression du colonialisme et de l'impérialisme, les musulmans découvrent qu'ils s'insupportent encore plus entre eux et refluent sous l'effet nocif de leurs élites dans le sectarisme tribal ou religieux et se coagulent dans des configurations partisanes répulsives. Ils ne savent plus, ne peuvent plus, ne veulent plus vivre ensemble et chacun diabolise, désincarne l'autre pour empêcher tout effort de compréhension mutuelle, tout élan d'humanité. Mais est-ce vraiment ce que demandent les peuples musulmans ? Vrai qu'on ne se rend compte de la valeur d'une chose qu'une fois perdue car, à la télé, les citoyens interrogés répondent tous, d'un verbe larmoyant, analytique, partisan ou moral, qu'ils ne désirent que la paix, la bonne entente avec les autres. Mais, comme tous les recours politiques, moraux et militaires ont échoué à réconcilier les uns avec les autres, peut-être que braquer continuellement une caméra de télévision sur chacun permettra d'atteindre plus rapidement cet objectif. Au moins virtuellement.