Les journées d'études organisées par la direction générale de l'administration des établissements pénitentiaires et de la réinsertion sociale, portant sur «le rôle des activités sportives dans le milieu carcéral et dans la réinsertion des détenus » au profit des techniciens supérieurs en sport et des éducateurs spécialisés de la jeunesse au niveau des établissements pénitentiaires se sont déroulées les 18 et 19 octobre 2010 au camp international des scouts Sidi-Fredj Alger. Une intéressante communication intitulée «Quelques réflexions sur l'apport de la pratique échiquéenne en milieu carcéral » a été présentée par le représentant de la Fédération Algérienne des Echecs dont voici de larges extraits. A travers cette communication, il est en fait proposé un plan de développement de la discipline en milieu carcéral dont les principaux objectifs est d'utiliser le jeu d'échecs comme une thérapie contre la pénibilité de la détention, un moyen d'épanouissement, de formation et par conséquent de réinsertion sociale. UNE DISCIPLINE CARREFOUR La pratique échiquéenne en milieu carcéral ne doit pas être perçue seulement comme l'organisation d'une simple distraction mais aussi comme un moyen d'épanouissement de l'individu, un espace de réapprentissage des choses de la vie par un rappel et une consolidation des repères. Afin d'atteindre les objectifs conséquents à la peine infligée à l'individu, on ne doit pas bien sûr s'appuyer sur le seul traitement carcéral isolant l'individu du milieu social, mais employer une thérapie à même d'atténuer d'une part, les effets de la peine sans en faire oublier l'objet, responsabiliser l'individu sur l'objet de sa peine et d'autre part, mettre en place chez lui un mécanisme psychologique rectificateur à même de favoriser une réinsertion sociale. La pratique échiquéenne doit comprendre une fonction de gestion et de régulation de la vie carcérale en prévenant ses effets néfastes sur la santé mentale des détenus (stress, ennui.). La pratique échiquéenne doit comprendre une fonction de re socialisation. Ce projet de pratique échiquéenne en milieu carcéral devra être fondé sur deux principes : utiliser la motivation quasi - spontanée des détenus pour le jeu d'échec en vue de susciter un intérêt ou de faciliter la compréhension vis-à-vis d'autres disciplines et des actions de la vie courante ; ensuite faire usage de l'univers artificiel créé par la règle du jeu comme modèle. QUALITES DÉVELLOPPÉES PAR LA PRATIQUE DU JEU D'ECHEC A cet effet, les qualités développées par une pratique organisée du jeu d'échec selon un programme adapté au milieu pénitentiaire, peuvent jouer un rôle prépondérant dans l'application de ces deux principes et dans processus thérapeutique cité plus haut : l'attention et la concentration, le jugement et plan, l'imagination et la prévoyance, la mémoire ,la volonté de vaincre, l'endurance et la maîtrise de soi, l'esprit de décision et le courage, la logique mathématique, et l'esprit d'analyse et de synthèse, la créativité, l'intelligence, l'organisation méthodique de l'étude et le goût pour les langues étrangères, le raffermissement du système nerveux, la faculté de «distribuer» son attention à des objets relativement sans liens, la sensibilité à des situations dynamiques, l'esprit de type contemplatif et combatif, un haut degré de développement intellectuel, un caractère logique de la pensée, l'objectivité et le réalisme, la mémoire spécialisée, la puissance de pensée synthétique et «sens positionnel», la facilité de combiner, une volonté discipliné, une grande activité des processus intellectuels, la discipline des émotions et de l'affectivité, la confiance en soi, la discipline de la pensée, l'organisation correcte du raisonnement, une concentration permanente et soutenue, l'esprit d'entreprise, l'esprit de découverte et d'invention, la persévérance, la perception des plans du partenaire et le décèlement de faille dans son raisonnement, la compétition intellectuelle, la logique, le calcul et la fantaisie, l'observation et l'analyse, la pensée déductive, le développement d'un esprit critique, la faculté d'orientation, le développement des activités analytiques et synthétiques la faculté de réflexion, de raisonnement, de conclusion, le pouvoir de comparaison, de généralisation, et prévision l'attention, l'autonomie et la patience . FORMATION DES FORMATEURS Il faut jeter les bases d'un programme de travail mettant en exergue la fonction éducative du jeu d'échec, laquelle suppose de réunir les moyens humains et matériels afin de développer en quantité et en qualité, l'encadrement, l'animation et la formation à la pratique échiquéenne dans les établissements pénitentiaires. La première étape d'un tel projet doit s'appuyer sur la formation de l'encadrement par en premier lieu la formation de courte durée (deux jours) d'initiateurs du premier degré pouvant agir dans les foyers ou lors des récréations. Le second volet est la formation de longue durée des initiateurs du second degré (technicien ou éducateur spécialisé) pouvant gérer une section des compétitions et donner des cours de perfectionnement et d'arbitrage. «JEU POUR LE PLAISIR ET PASSER LE TEMPS» Derrière ce slogan se cache en vérité une partie du programme proposé et dans cette optique, il y a lieu d'opter pour une politique de vulgarisation dans les foyers des établissements pénitentiaires par la distribution d'échiquiers, la distribution de manuels d'initiation, l'initiation sous forme d'affiche sur des panneaux, l'organisation périodique d'exhibition : simultanées, bref explication initiatique, la confection des échiquiers, des pièces et des échiquiers muraux par les détenus. Les objectifs étant, la vulgarisation du jeu, l'instauration d'un respect entre détenus dans leur vie de tous les jours, l'installation d'une certaine culture du jeu d'échec et des jeux de réflexion, le rassemblement des détenus autour d'un échiquier, la pratique d'un jeu incitant à la réflexion et au calme avec des règles parfaitement définies. La vie en communauté, le respect des règles du jeu, de l'adversaire, maîtrise de soi, socialisation, acceptation de la défaite, contrôle des réactions, découverte du sens de l'effort pour persévérer dans l'apprentissage du jeu. A noter que l'encadrement doit être assuré par un initiateur du premier degré qui interviendra comme témoin des règles du jeu, conteur d'histoires autour du jeu d'échec et comme prospecteur. «PROGRESSER ET DÉPASSER LE TEMPS» Dans cette deuxième partie du programme, il y a lieu de favoriser les volets suivants : travaux manuels, confection d'échiquiers avec pièces, échiquiers muraux avec pièces, réalisation d'une bibliothèque spécialisée, conception de panneaux d'affichage avec la résolution d'un problème hebdomadaire, la lecture et suivi de l'actualité et histoire du jeu d'échec , l'organisation de tournoi interne (Championnat de cellule, championnat de l'établissement), tournoi inter pénitencier, parties par correspondance, entraînement en groupe, analyse collective et commentaires de parties, concours de résolution de problèmes, parties rapides, partie longue, parties à l'aveugle, partie en groupe. entraînement individuel, résolution de problèmes, analyse et commentaires des parties, des feuilles d'exercices à réaliser en cellule. Les objectifs de ce deuxième palier du programme sont : faire entrer le détenu dans un cycle à même d'atténuer les effets négatifs de la détention (entraînement, compétitions, travail à domicile, exposé ….) l'habituer à se poser des questions sur la position donc sur sa propre situation, lui apprendre la maîtrise et le respect des règles du jeu d'échec qui forment et corrigent consciemment et inconsciemment les mœurs et la personnalité du détenu, l'inciter à constituer un recueil de ces propres parties, répondre enfin à l'une des préoccupations fondamentales qui est celle de donner la possibilité à chaque détenu d'avancer à son propre rythme. L'encadrement est assuré par un initiateur du second degré appelé à gérer une section des compétitions et à donner des cours de perfectionnement et d'arbitrage. Celui-ci doit nécessairement posséder un matériel pédagogique de qualité afin de stimuler autant que possible l'intérêt du jeu d'échec chez le détenu FORMATION ET REINSERTION Cette troisième partie du programme basée sur la formation (Formation d'initiateur du 1er et 2ème degré, formation d'arbitre du 1er degré) est essentielle dans la politique de réinsertion sociale des détenus. Parmi les objectifs, il y a lieu de signaler le rapport avec les règles et le règlement théorique et pratique, la construction d'un autre projet de vie, le développement de la sociabilité du détenu, c'est-à-dire sa capacité à endosser et à assumer différents rôles sociaux (animateur, arbitre). La compréhension de «la règle» en la restituant dans un contexte plus général que celui du jeu d'échec, de la faire appliquer et surtout de l'appliquer soi-même, l'apprentissage technique et la maîtrise de soi transférable dans d'autres situations de la vie quotidienne, une meilleure gestion de soi et du groupe , raisonner en général pour arriver au particulier, bénéficier du rôle de l'arbitrage, développement des capacités à agir logiquement et consciemment et de se défaire le plus possible de l'influence négative d'un environnement, une réussite dans les domaines de l'arbitrage, et de l'animation sportive constituera probablement la première réussite dans le parcours de la réinsertion sociale. Dans cette optique, l'encadreur doit être en relation avec la fédération spécialisée. BATON MAGIQUE En conclusion, le jeu d'échec peut aider le détenu à s'adapter aux conditions de détention par une initiation aux activités intellectuelles car il doit se soumettre aux règles de la vie carcérale, il doit savoir se contrôler, se concentrer, être discipliné et organisé. Il doit être initié aux raisonnements logiques, il doit savoir observer et mémoriser. C'est pour lui l'occasion d'avoir un contact avec l'extérieur et de se valoriser par le biais de la réflexion induite par le jeu d'échec. Les apports pédagogiques de notre jeu ont un impact réel sur les détenus en termes de socialisation. Un détenu passif et oisif qui n'est pas initié aux activités intellectuelles ou sportives et qui n'aime pas réfléchir éprouve de grandes difficultés d'adaptation au milieu carcéral. Le jeu d'échec peut venir ici en aide comme un bâton magique. La vulgarisation du jeu d'échec en milieu carcéral est plus que souhaité, elle est impérative.