Recep Tayyip Erdogan est entré, dimanche dernier, dans l'histoire de la Turquie. Le premier président de la République élu au suffrage universel direct a entamé, hier, et sans attendre les résultats définitifs, les consultations pour la formation d'un nouveau gouvernement. Avec 52% des voix, selon le Haut-Conseil électoral, il a devancé de 13 points Ekmeleddin Ihsanoglu, candidat commun des laïcs kémalistes et des nationalistes (38,5%). Selahattin Demirtas, du Parti démocratique du peuple (HDP, principale force pro-kurde), a obtenu un peu moins de 10%. Ce résultat obtenu par un Kurde aurait été impensable il y a seulement quelques années, quand le pouvoir central luttait contre la rébellion du PKK. D'ici à sa prestation de serment, le 28 août, Erdogan va diriger pour la dernière fois les réunions du Parti de la justice et du développement (AKP) et superviser la désignation de son successeur, probablement un fidèle qui devrait aussi le remplacer à la tête du gouvernement. Le ministre des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, est considéré comme le favori. Le ministre des Transports, Binali Yildirim, brigue également le poste. « Aujourd'hui est un nouveau jour, une nouvelle étape pour la Turquie, c'est la naissance de la Turquie, qui va renaître de ses cendres », a lancé Erdogan, dimanche soir, à ses milliers de partisans venus l'acclamer devant le siège de l'AKP à Ankara. Pour accéder à la Présidence, Erdogan a dû résister à l'usure du pouvoir, lui qui dirige le gouvernement depuis 2003, au mouvement de contestation né sur la place Taksim d'Istanbul l'été dernier et à un vaste scandale de corruption impliquant plusieurs de ses ministres. Le nouveau chef de l'Etat a promis d'être « le Président des 77 millions de Turcs et pas seulement de ceux qui ont voté pour (lui) » et d'œuvrer à la réconciliation sociale. Ses détracteurs voient en Erdogan un « sultan moderne », réfractaire à la critique et issu de l'islam politique, et redoutent que son accession à la Présidence n'éloigne un peu plus encore la Turquie, membre de l'Otan et candidate à l'entrée dans l'Union européenne, de l'idéal laïque de son père fondateur. Erdogan, qui ne doutait pas de sa victoire, a déjà exprimé le souhait de rester à la présidence pendant deux mandats, soit au moins jusqu'en 2023, année du centième anniversaire de la république kémaliste, une date symbolique pour celui qui fait souvent référence dans ses discours à l'empire ottoman.