Tizi Ouzou et sa campagne environnante semblent suffoquer sous la chaleur de ce mois d'août. Dans les villages, pas âme qui vive. Les ruelles sont pratiquement désertes. Seules les stridulations incessantes des grillons brisent ce silence de mort. Les femmes âgées, vêtues de leurs robes chatoyantes, sont les seules à oser affronter un soleil dardant. A Larbaâ Nath Irathen, elles continuent de porter du bois et de l'eau sur leurs fragiles épaules. On les voit ici et là, en petits groupes, papoter joyeusement tout en gratifiant les passants, et même les étrangers, de sourires radieux de bienvenue. Ou encore sous de grands arbres, bien à l'ombre où elles ne manquent jamais de faire des signes de la main amicaux aux visages familiers comme aux visages inconnus. Pour les étrangers, ces femmes sont un véritable atout touristique, dont les tenues et l'attitude spontanée donnent un cachet très particulier aux villages. Quand elles se tiennent surtout à proximité des vielles maisons en pierre. De véritables cartes postales, avec en arrière plan, des collines verdoyantes et les ravins nappés d'herbes. Quant aux jeunes, on ne les voit pratiquement pas dans les petites communes de Larbaâ Nath Irathen. N'étant pas adeptes des siestes, ils se déplacent dans les régions environnantes où il y a plus d'activités, d'animation. Parmi ces régions, Beni Yenni, plus connue sous le nom d'Ath Yenni, qui a abrité en ce mois d'août la onzième édition de la fête du bijou, organisée par le comité communal. Une manifestation qui a attiré les habitants de différentes wilayas du pays ainsi que des étrangers. Taourirt Mimoun a accueilli l'évènemen dans l'effervescence. Deux salles d'expositions ont été aménagées à cette occasion. Les visiteurs ont afflué de partout. Des émigrés, charmés par les parures et autres bracelets, marchandaient, jugeant les prix excessifs. Les habitants d'Ath Yenni, quant à eux, prennent leur temps. Ils préfèrent éviter le soleil quand il est au zénith et émergent de chez eux en fin d'après-midi, heureux de sentir la brise fraîche caresser leurs visages. C'est ce moment-là que choisissent les habitants des villages alentour pour rejoindre Taourirt Mimoun. En chemin, des deux côtés de la route, on y trouve de vieilles maisons typiques de la région. De petites ruelles étroites mènent, via des escaliers irréguliers, vers les maisons et les ateliers de fabrication des bijoux. Généralement les habitations donnent sur des jardins où les figuiers trônent au milieu de la végétation. Tout autour, le majestueux Djurdjura domine, donnant à Ath-Yenni une impression de grandeur rehaussée par la fraîcheur des grands espaces. Beni Yenni : des bijoux dans un écrin verdoyant A l'occasion de la fête du bijou, des jeunes du village ont installé des petits commerces et autres fast-foods de fortune. Des glaces, du thé, du café, des gâteaux, pâtisseries et amuse-gueules y sont proposés. Rien de bien consistant mais suffisamment pour tromper les petites faims. Au CEM Larbi-Mezani, plus de quatre-vingts artisans, représentant une dizaine de wilayas, se disputent les clients. Ou plutôt les clientes, très nombreuses, à l'affût de nouveautés. Les pièces originales disparaissent à vu d'œil malgré les prix élevés. Les anciens modèles côtoient les nouveaux pour répondre à tous les goûts. Les artisans d'Ath Yenni ne semblent pas tous très contents des produits exposés par leurs confrères, venus des autres régions. « Ils exposent des bijoux en argent blanc, sans corail. Ce sont des bijoux bon marché. A cause d'eux, nous sommes obligés de baisser nos prix. Nos produits sont fabriqués localement par des artisans locaux alors que ceux exposés par les autres sont commercialisés par de simples revendeurs », confie un artisan d'Ath Yenni qui a hérité cette activité de son père. Une activité qui représente son principal gagne-pain. « J'étais un artisan déclaré mais les impôts consommaient la plus grande partie de mes gains. La matière première est chère et rare. Le corail est hors de prix au marché noir. Le kilo est à 28 millions de centimes. Le pire, c'est que nous sommes obligés de s'approvisionner au marché parallèle puisque la pêche au corail est interdite », déplore un artisan d'Ath Yenni. Selon lui, à cause de la cherté de la matière et des impôts, 40% des artisans dans cette région travaillent aujourd'hui au noir. Pour prendre part à la fête du bijou, les artisans non réglementés se sont fait passer pour des commerçants adjoints de ceux qui ont un registre du commerce. Ainsi, ils ont pu dresser des étals et vendre leurs produits. Selon les statistiques, des 600 artisans en activité à Ath-Yenni dans les années 90, il n'en subsiste qu'une quarantaine aujourd'hui. En l'absence de touristes et visiteurs réguliers, les bijoux restent le plus souvent exposés dans les vitrines. Quelques ateliers ont recours à des personnes pour les commercialiser ailleurs, dans les grandes villes, en faisant du porte à porte. La fête du bijou brise la routine Quelques touristes étrangers et des émigrés sillonnent les salles des expositions pour acheter des cadeaux souvenir ou le simple plaisir de porter des bijoux originaux. D'ailleurs, beaucoup d'entre eux quittent les lieux avec une chaîne en argent autour du cou ou des bagues à leurs doigts. A partir de 18h, c'est le grand rush. L'affluence est telle que les organisateurs ont obligé les visiteurs à faire des détours pour aller dans un autre village ou pour quitter Beni Yenni. Jeunes et moins jeunes envahissent carrément les lieux d'exposition. Les artisans se frottent les mains, flairant les bonnes affaires. « C'est maintenant que la vente commence pour de vrai », disent-ils. A l'extérieur, tout au long du chemin menant à l'exposition, d'autres petits commerces émergent petit à petit. L'heure du dîner étant proche, les fast-foods préparent les brochettes. L'odeur alléchante de la viande grillée emplit déjà l'air. Vu l'affluence sur ce « mets » affectionné particulièrement durant la saison estivale, les visiteurs ne semblent pas se préoccuper de la fièvre aphteuse, mordant à pleines dents dans leurs sandwiches. A quelques kilomètres de là pourtant, cette maladie qui a touché les bovins fait des ravages à Tizi Rached. Selon le vice-président de l'APC, Moussous, les bovins atteints de cette maladie font quotidiennement le chemin vers les abattoirs privés. Ici non plus, les habitants n'ont pas peur de manger de la viande bovine. Au fait, la dégustation des viandes représente le principal « loisir » des habitants en cette période de vacances. Les fêtes de mariage, seul loisir à Tizi Rached Tizi Rached n'est pas ce qu'on appelle un village touristique, comme Beni Yenni par exemple. Mis à part les paysages naturels. « Les jeunes qui n'ont pas les moyens d'aller à la plage se rabattent sur les fêtes de mariage. Là, on mange, on chante et on danse », explique Moussous. Même les visiteurs étrangers ou de passage sont conviés spontanément à partager ces moments de fête. La nourriture y est abondante et les hôtes convient le maximum de monde à leurs tables. « Les émigrés, originaires de la région, préfèrent passer leurs vacances ailleurs, sur la côte. Il faut dire aussi que les 20.000 habitants que compte notre commune ne sont pas très exigeants en matière de loisirs. Depuis le temps, ils se sont habitués à passer des étés tranquilles », dit-il. Le festival de la bande dessinée qu'accueille Tizi Rached en ce mois d'août dans le cadre des échanges entre les jeunes met de l'ambiance sans pour autant changer les habitudes. L'animation en fait est surtout sentie au niveau de l'unique auberge de la commune, occupée par des jeunes de la wilaya de Batna. Les femmes, étant lésées par rapport aux hommes en termes de loisirs, bénéficient d'un transport pour se promener en dehors du village. Les femmes ont une nette préférence pour Sidi Khaled, un hameau où se trouve le mausolée de Sidi Khaled. Là, elles se retrouvent entre femmes, se promènent, échangent les derniers « scoops » du village tout en s'adonnant aux rituels suivis dans les lieux saints. La plage n'a pas l'air de les intéresser, contrairement aux jeunes. Cette année, Tigzirt est celle qui attire le plus de monde. Plus de monde que l'année dernière, selon le président de la Fédération nationale des offices locaux de tourisme, Mohamed Azouz. Au mois de juillet, la station balnéaire a attiré 53.000 estivants le jour et 84.000 la nuit. A la mi-août, ces chiffres étaient respectivement de 50.000 et 15.000. Azouz affirme que Tigzirt est particulièrement affectionné pour des raisons sécuritaires. Chose que confirment des éléments de la sûreté urbaine qui assurent n'avoir enregistré aucun cas d'agression sur les plages depuis l'ouverture de la saison estivale. Les jeunes qui travaillent pour le compte des concessionnaires des plages font part de la présence de familles jusqu'à quatre heures du matin. « Les vacances, ce n'est pas pour nous », disent-ils. Mais contrairement à ce que l'on peut croire, ils ne s'en lamentent pas. « Nous profitons de la saison estivale pour travailler et gagner de l'argent pour couvrir nos besoins durant l'année. Nous nous occupons de l'entretien des plages, louons les parkings, les parasols, les chaises, les tables », affirme un jeune de Tigzirt, qui reconnaît que durant l'été, il peut gagner de quoi s'acheter un véhicule de marque. A 400 DA/la place dans le parking du port, il est clair que les bénéfices sont assurés. Le port est d'ailleurs le lieu le plus fréquenté à Tigzirt pour son restaurant, ses gargotes et les plages alentour. Le port accueille aussi des aires de jeux aménagées pour les enfants. Et si les lieux sont déserts dans la journée, le soir, c'est une autre histoire. A partir de 19 h, le port de Tigzirt est submergé. C'est le branle-bas-de combat dans les lieux de restauration jusqu'à 2 h du matin. Chez l'habitant, une formule qui marche à Tigzirt « Chaque soir, nous accueillons des centaines de clients. Des émigrés pour la plupart. Nous essayons de satisfaire leurs exigences. Mais ce n'est pas toujours facile. Surtout en matière de poissons dont l'offre est très limitée. La crevette, par exemple, n'est pas disponible à Tigzirt. Pour en manger, il faut aller à Azeffoun », confie le propriétaire d'un restaurant, un ancien émigré qui s'est installé dans la région. Les marins-pêcheurs travaillent en cette saison plus que d'habitude mais n'arrivent pas à satisfaire la demande. « Il faut dire que nos pêcheurs ne sont pas des professionnels contrairement à ceux d'Azeffoun. C'est plus un passe-temps qu'une activité professionnelle », souligne le président de la Fédération nationale des offices locaux de tourisme. Au port, il y a aussi des soirées artistiques jusqu'au petit matin, animées par des artistes ou des DJ. « Le soir, Tigzirt change complètement d'allure. C'est la fête toute la nuit. Mais au retour, ils font face aux encombrements impressionnants bien qu'ils soient allégés depuis l'ouverture de la route qui mène vers Dellys », précise Azouz. Pour les habitants de la ville, par contre, c'est tout bénef. En fait, ils sont gagnants sur toute la ligne et cela grâce à la location de leurs maisons. Une pratique très courante en période estivale et très fructueuse. 40% des logements de Tigzirt sont loués, soit 800 appartements. La nuitée est à 5.000 DA au minimum. Tout dépend de l'emplacement du logement. Plus il est proche de la mer, plus c'est cher. De juin à septembre, 40% de la population quitte Tigzirt pour laisser place aux estivants. Les enseignants, d'une façon particulière, cèdent leurs logements, et passent leurs vacances ailleurs. Quant aux hôtels, neuf en tout, de 1 à 3 étoiles, ils affichent complet jusqu'au 1er septembre. Mais Tigzirt n'est pas que plages. Elle renferme des vestiges antiques, et en plein centre-ville. A proximité du port, les ruines de la cité romaine militaire font face à la mer. Le temple païen datant du IIIe siècle après J.-C. est le seul ouvrage qui a défié le temps. Le reste n'est que décombres. Sur le même périmètre, séparés par des infrastructures et des routes, se dressent les remparts de la basilique chrétienne, érigée à la fin du Ve siècle. Des lieux considérés comme un pôle d'attraction par de nombreux visiteurs. Mais en l'absence d'un guide sur les lieux, les visiteurs s'y rendent plus pour profiter de la mer et humer son odeur, à l'abri du soleil, que pour connaître l'histoire du site. Les grosses pierres chauffées par le soleil qui constituaient les pans de la cité antique sont réduits aujourd'hui à assumer le rôle de sièges pour visiteurs. « Depuis les années 1990 et à cause de la décennie noire, les opérations de fouilles n'ont jamais été effectuées au niveau de ces sites. Comme nous avons hérité des pratiques coloniales de fouilles qui se limitaient aux sites romains, nous avons négligé les autres sites, œuvres d'autres civilisations que romaine. Ils sont nombreux à Tigzirt mais pas encore explorés et encore moins exploités », déplore un archéologue qui joue aussi le rôle de guide au niveau de ces sites, ouverts jusqu'à 1 h du matin durant la saison estivale. Taksebt, un paysage paradisiaque dans un monde de brutes Autre lieu, autre panorama : le barrage de Taksebt. Un autre endroit de prédilection des jeunes estivants. C'est le lieu favori des fins d'après-midi. Un vrai plaisir pour les yeux. L'étendu de l'eau, au creux des collines, brille sous les rayons du soleil. Autour d'un petit îlot, juste au centre du barrage, des oiseaux migrateurs prennent leur envol, ou s'ébattent dans l'eau, selon leur fantaisie. Un nombre impressionnant de véhicules est stationnés sur les berges de cette immense retenue d'eau. De jeunes mariées vêtues de leurs robes blanches prennent le site comme arrière-plan pour leurs photos de mariage. Ordures et cadavres de bouteilles, entassés les uns sur les autres, n'ont pas l'air de trop les déranger. Des jeunes confortablement installés autour du barrage ajoutent à cet incivisme généralisé en lançant à leur tour leurs bouteilles vides autour de ce magnifique site. Transportées dans de grandes glacières, des canettes de bière sont vendues sur place, au grand plaisir de certains jeunes estivants. Par certains endroits, Taksebt ressemble à une plage. Beaucoup sont tentés par une baignade mais rares sont ceux qui s'y risquent. Ici, les noyades sont fréquentes. A l'heure du coucher du soleil, le site prend un air mystérieux. Même les oiseaux n'osent pas perturber le silence de la nuit qui avance. A peine un battement d'ailes. Un moment de paix.