Il s'agit d'un tournant stratégique qui confirme l'objectif central de la guerre contre Daech. De Homs, qui fut l'épicentre de la « révolte de 2011 » sous contrôle de Bachar El Assad, à El Minbej, l'une des dernières villes de la province d'Alep tenue par les éléments de Daech, les « frappes presque continuelles » ont allégrement franchi le Rubicon du fief de Raqa, visé également par 31 explosions, et de la ville majoritairement kurde d'Aïn Arab, à la frontière turque. Les lignes de front ont singulièrement bougé pour s'étendre des frontières de l'Est (Irak) et du Nord (Turquie) à la périphérie de la capitale et tout le long de l'axe stratégique de la Méditerranée et du Liban. Le ton est donné par le secrétaire d'Etat, John Kerry, balayant d'un revers de la main le scénario des dividendes de Damas. Dans cette nouvelle offensive, il est exclu qu'elle contribue au maintien du régime dont la chute est ouvertement réclamée par les alliés arabes participant à la coalition. Pour lever toute équivoque, Kerry a affirmé, dans une tribune publiée vendredi dernier dans le Boston Globe, que « nous ne sommes pas du même côté qu'Assad » qualifié péremptoirement d'« aimant qui a attiré des combattants étrangers de dizaines de pays venus se battre dans les rangs de l'EI ». La fracture qui fait désormais de l'EI « l'ennemi public numéro un », après avoir été exonéré au même titre que la tentaculaire al Qaïda des méfaits criminels, légitime le combat de l'Amérique à la fois contre l'EI et le régime syrien. Une « voie alternative » se dessine pour « l'opposition modérée » qu'il s'agit d'équiper et d'entraîner dans sa lutte contre les « deux ennemis ». La thèse a été validée par le plus haut gradé de l'armée américaine, le général Martin Dempsey, revendiquant la levée d'une armée de 12.000 à 15.000 rebelles remobilisée pour reprendre le terrain perdu. Le siège de Homs et d'Alep, à grands renforts de moyens militaires conséquents (47 missiles Tomahawk tirés des deux navires déployés en mer Rouge, l'USS Arleigh Burke et l'USS Philippine Sea, une quinzaine d'avions et quatre drones armés...), ne laisse aucun doute sur les motivations réelles de la campagne syrienne marquée par le baptême du feu des F-22 Raptor, jamais utilisés en Irak ou en Afghanistan, opérant en complète autonomie et assurés d'échapper aux DCA syriens dans le cas d'une riposte. Le ciel syrien est donc sous haute surveillance, par-delà les attaques ciblées des centres de commandement et de logistique de l'EI. Très critique lors de son intervention, hier, devant l'assemblée générale de l'Onu, le ministre des Affaires étrangères russe, Serguei Lavrov, a réitéré des réserves sur les bombardements en Irak et en Syrie, frappés d'illégalité. « Nous pensons que toute action, y compris l'usage de la force, doit être utilisée pour lutter contre le terrorisme mais dans le cadre du droit international », a soutenu le chef de la diplomatie russe, jugeant « très important » la coopération avec le gouvernement syrien et regrettant la marginalisation de l'Iran, apte à « jouer un rôle utile ». Amine Goutali et Larbi Chaabouni