• Je n'oublierai surtout pas ces immenses clameurs qui s'élevaient jusqu'au ciel, un hélicoptère volant à basse altitude au-dessus de nos têtes n'arrivait pas à étouffer l'immense chant de la Liberté. 1954. L'empire français subissait une cuisante défaite militaire en Indochine. Dien Bien Phu gravé dans la mémoire des peuples sous domination coloniale. En Algérie, la nouvelle de la victoire des viétnamiens circula rapidement parmi la population et rapidement les gosses que nous étions, sentirent en eux un brin de nationalisme. A treize ans, nous n'étions guère politisés et les «yaouleds», nom à consonance péjorative, avons grillé, l'école primaire à l'orée du certificat d'études primaires, pour aller travailler et subvenir aux besoins de nos familles. Que faire alors ? Aller au cinéma, acheter et vendre des illustrés ? Alors un club sportif, le Widad Riadhi de Belcourt (WRB) nous recruta dans la section athlétisme. On pratiquait le cross country section cadet et à chaque manifestation, avec notre tenue vert et blanc nous en étions fiers. Les séniors ah ! Alors là c'étaient les meilleurs, avec Bentir, Hamou, pour le WRB et pour le Mouloudia nos voisins en vert et rouge Allam, Mechkal et tant d'autres, tant d'autres ! Les deux équipes foudroyaient les équipes. «Pieds –noirs» qui n'arrivaient pas à égaler les nôtres. Les résultats étaient remarquables. Premiers sur toute la ligne ! Il y eut un cross patronné par le fameux journal Alger-Républicain. C'était une compétition mémorable ; nous avions remporté le trophée en bloc, toutes catégories confondues vert et banc, rouge et vert et les européens blanc et bleu, rouge et jaune. Je me souviens de l'importance des couleurs de nos tenues sportives aux couleurs de l'emblème national et de la remise des prix par le communiste Henry Alleg. Nous étions fiers bon sang ! Avec le symbole des couleurs c'est l'Algérie entière qui gagnait. A ce moment-là nous sentions en nous-mêmes, les prémices de quelque chose qui allait se passer. Nous, les Français musulmans comme ils nous appelaient et qu'a cela ne tienne, nous étions fiers d'être musulmans. «RAHI NADAT, RAHI NADAT !!!! » 1953-1954, la vie se déroulait paisiblement, nous nous adonnions au sport, au cinéma, à la lecture des informations par le biais des journaux tels «Alger Républicain» et à un degré moindre, «Le journal d'Alger» ou «Dernière heure». Quelques magazines comme «Nous Deux» ainsi qu'illustrés ne nous laissaient pas indifférents. Nous avions nos rêves, nos espoirs. Je me souviens d'un jour. C'était en 1952 je crois, si ma mémoire ne me fait pas défaut, il y avait un meeting du Parti du PPA dans un cinéma de mon quartier. Les militants sont sortis à la fin du meeting en chantonnant ces quelques refrains qui sont parvenus à nos oreilles juvéniles : «Messali L'hadj aâtana meftah bach en n'halou bab el Houria ? Ferhat Abbas ammmar lahbasss Bel Watania». Les gosses les reprenaient mais on ne savait pas ce que cela voulait dire et qu'il y avait à l'époque des luttes entre intestines entre les nationalistes. Beaucoup d'événements politiques et sociaux se sont passés au courant des années 1953, 1954. Pour nous les enfants, la vie continuait et personne ne se doutait de ce qui allait arriver les derniers jours d'octobre1954. Un après-midi, je me rappelle vaguement qu'une feuille tapée à la machine à écrire m'est tombée sous la main….Mon Dieu ! Je l'ai lue. Les premières phrases m'ont catapulté, d'autres gamins insouciants me regardaient. Je bégaie et je le crie « Rahi Nadat, Rahi Nadat !!!! » Du tract, j'ai retenu les phrases suivantes : Déclaration du 1er Novembre 1954 du Front de Libération nationale. Peuple algérien, militants de la cause nationale, à vous qui êtes appelés à nous juger...les premiers d'une façon générale... Cette nuit là, en divers points, du territoire national, des actions militaires de commandos algériens ont été déclenchées contre des objectifs civils et militaires français. A Alger, les points ciblés étaient Radio Alger et la compagnie de transport Mory. Le 1er novembre, les journaux européens titraient en grosses manchettes : ce qui était pour eux une rébellion, le soulèvement du peuple algérien.Tout bascula ce jour-là. La Révolution est en marche. Malgré notre jeunesse, nous suivions les nouvelles de jours en jour. La presse européenne rapportait de fausses nouvelles, accentuant son action psychologique. La police et l'armée française enserraient le peuple algérien dans un étau féroce. La répression s'accentuait et prenait de l'ampleur de jour en jour, de semaine en semaine. Plus les Moudjahidine infligeaient dans les villes et les campagnes, des actions d'éclat dans les fiefs des colons, plus la répression s'abattait sur la population civile. Les femmes et les enfants n'étaient nullement épargnés. Les troupes coloniales ratissaient les quartiers et sortaient des maisons les vieux, les enfants dehors les mains sur la tête et humiliés des heures et des heures assis à terre. D'autres sont carrément embarqués et envoyés vers une destination inconnue et malgré cela, nous étions confiants que fel djebel les vaillants Moudjahidine veillait sur nous et nous protégeaient. 1957 fut terrible…..et héroïque. Les Fidayine de la zone autonome FLN d'Alger contrôlent la ville, menant des actions audacieuses contre les forces d'occupation à tel point que l'ennemi acculé débordé par les coups de boutoir des jeunes combattants du FLN, fit appel a son corps d'élite : les parachutistes. La Bataille d'Alger vient d'être déclenchée, rude, impitoyable, sanguinaire et en réponse aux opérations des combattants les divisions parachutistes commirent les plus viles méthodes d'exécutions, de tortures, violant la plus élémentaire loi de la guerre. Je ne suis pas historien, mais je suis simplement un témoin de cette période où les jeunes de mon âge à l'époque ont connu l'incarcération dans les locaux de détention comme la villa Susini, la villa Nador, la piscine du ruisseau à Alger où des jeunes de 13 à 20 ans étaient soumis à de terribles épreuves. Un terrible génocide que la morale réprouve. Plus de 2000 jeunes, arrêtés de nuit n'ont plus reparu. LES TROIS GLORIEUSES 1960, la résistance algérienne devint plus forte, encore, sur le plan national et international. La guerre se poursuivait impitoyable et l'ALN rendait coup pour coup affaiblissant à la machine infernale. Alors, un après-midi, un groupuscule de jeunes pieds-noirs manifestaient dans leurs fiefs de Bab El Oued et de la rue Michelet et en voitures arboraient leurs drapeaux tricolores en sillonnant les rues Michelet, Sadi Carnot, et rue de Lyon. Ils arrivèrent presque à hauteur du Monoprix de Belcourt, mal leur en prit, nous les jeunes, les avions attaqués avec quelques objets trouvés ça et là. Pris de panique, ils filèrent vers le ruisseau……Enhardis par notre riposte à cette provocation, des centaines de jeunes qui ont mis en déroute les manifestants «Algérie française» scandent «Algérie algérienne, Algérie Algérienne». Tard dans la nuit, le couvre-feu imposé par l'armée n'est plus observé, des copains de quartiers descendent la ruelle pour déboucher sur la rue de Lyon. Quelques temps plus tard, le feu ravage les dépôts du Monoprix. 11 Décembre tôt le matin, nous dressions les premières barricades avec de grandes tables en planches des vendeurs lesquelles étaient accolées contre le mur du cimetière de Sidi M'Hamed.11 heures, la ruelle bloquée par les barricades était bondée de monde brandissant les premiers drapeaux cousus à la hâte et aux cris glorieux d'Algérie musulmane répondaient les you you de nos mères et de nos sœurs. Les gens brandissant les emblèmes aux couleurs nationales affluaient des hauteurs de Sidi Mesaoud et de Dar el Babor. Je n'oublierai surtout pas ces immenses clameurs qui s'élevaient jusqu'au ciel, un hélicoptère volant à basse altitude au-dessus de nos têtes n'arrivait pas à étouffer l'immense chant de la Liberté. Tous les habitants des quartiers algériens étaient dans la rue. Cette grande victoire et ces trois jours où nous nous sentions vraiment libres ! Ces trois glorieuses ont ébranlé l'une des plus grandes puissances du monde et détruit à jamais le mythe de l'Algérie française.