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Le miroir de l'islam algerien en france
L'institut al-ghazali
Publié dans Horizons le 01 - 10 - 2014

De nos jours, les musulmans français ne rasent plus les murs. Leur présence, leur insertion dans les milieux professionnels les plus divers, le contexte général dans lequel s'inscrivent leur existence et leur action quotidienne ont imposé l'Islam comme un sujet majeur du débat social et politique français. Depuis plus de vingt-cinq ans, il n'est pas de jour où l'on ne disserte pas sur l'islam, où des enquêtes ne sont menées sur les musulmans de France, où des articles, des livres, des films, des reportages n'abordent pas l'Islam sous ses aspects les plus divers, comme religion, politique, mode de vie, culture et histoire. L'Islam fait donc partie de la réalité française à tous les niveaux. Malgré les réactions négatives, l'islamophobie régnante, l'Islam séduit de plus en plus les jeunes Français et même de moins jeunes. Beaucoup s'y convertissent, lassés de la misère morale qu'engendre la société de consommation, laquelle ne propose comme finalité à la vie humaine que la quête de l'argent et la frénésie consumériste. Les Français viennent chercher dans l'Islam une humanité disparue de la civilisation occidentale, un sens à leur existence, une libération, car la foi dans le Dieu de l'Islam affranchit les individus de la tyrannie des fétiches et des idoles. D'autres qui ne franchissent pas le pas, éprouvent un intérêt sérieux pour cette religion et pour la civilisation qui en est issue. Car si l'Islam est d'abord une religion, il a produit une civilisation multidimensionnelle. Il a promu une théologie, une philosophie, une science, une littérature, une esthétique, une morale, une politique. Grâce à l'Islam, faut-il le rappeler, les Arabes ont connu le principe de l'Etat central, ce qui fut d'une importance primordiale pour l'avenir de l'Islam. C'est à partir des lieux de culte, des oratoires d'abord modestes qui sont devenus au fil des années des mosquées, que se déploie l'influence de l'Islam. Par la foi, par la pratique, par l'enseignement, par la lecture des textes, d'abord le Coran puis le hadith, par la méditation sur la sîra du Prophète (saws), le musulman se rapproche de plus en plus de son Seigneur. Au cœur de ce dispositif, le savoir et les sciences occupent la place centrale. De quelque côté qu'on aborde l'Islam, on se trouve ramené, d'une manière ou d'une autre, au savoir. Car le Coran lui-même se présente comme un livre qui dispense la lumière, éclaire le chemin et conduit au salut. Voilà une religion sobre, sans clergé ni conciles, qui ne sépare pas l'âme du corps, et pas davantage le cœur de l'esprit, qui fait sa place à la chair comme à la spiritualité, qui n'intercale aucun intermédiaire entre Allah et l'homme, une religion qui fait sa part, qui est grande à la raison et au savoir. « L'Islam et les musulmans ne pourront s'imposer et gagner toute la place qui leur est due dans la société française et même européenne que par le savoir qui ne se sépare pas de la morale et d'une quête spirituelle », assure le Dr Djelloul Seddiki, directeur de l'Institut Al-Ghazali de la Grande-Mosquée de Paris. Interrogés sur les raisons qui les ont poussés à s'inscrire à l'Institut Al-Ghazali. Sonia, Leïla, Ali et Pascal, quatre jeunes musulmans français, insistent à leur tour sur cette dimension cognitive de l'Islam « A l'Institut, on est certain de connaître l'Islam en partant de la base jusqu'au sommet », assure Sonia, puéricultrice de son état. Leïla, assistance sociale, renchérit : « Ce qui me plaît dans les cours dispensés à l'Institut, c'est le souci de la pédagogie. Les enseignants s'expriment clairement et, sur des points importants, répondent à nos questions. Ils ne viennent pas seulement pour faire cours et s'en aller, sans demander leur reste. Je me sens accompagnée dans ma recherche spirituelle. » Ali, qui est informaticien, pour sa part, a été surpris de constater en venant à l'Institut que l'Islam n'est pas seulement une religion. « J'ai découvert un autre visage de l'Islam. Dans les médias, on nous dit tous les jours que l'Islam est une religion qui favorise la violence, qui cautionne les attentats. Là, à l'Institut, j'ai découvert un islam positif qui m'a réconcilié avec mes origines. » Enfin Pascal, professeur de lettres, qui récuse le mot de conversion, mais qui préfère dire qu'il a été « guidé vers la lumière de l'Islam » y a trouvé la paix et l'harmonie intérieures. « Avant, j'étais obnubilé par la consommation, ma vie s'éparpillait à la recherche de plaisirs illusoires, matérielles qui par définition ne sont pas durables. J'étais constamment frustré. J'ai trouvé dans la foi musulmane le détachement nécessaire pour vivre dans la paix, c'est le sens du mot Islam », précise-t-il. Lorsqu'on demande à Pascal comment il est devenu musulman, il témoigne : « C'est par l'approfondissement du savoir acquis à l'Institut Al-Ghazali, par la fréquentation de la mosquée, par une méditation constante des textes de l'Islam, du Coran principalement mais aussi en m'appropriant la morale et les vertus incarnées par le Prophète (saws) que j'ai eu la certitude que l'Islam est, non pas un reniement de mon identité, mais un accomplissement. » Après tout, n'est-ce pas ce qu'enseigne le Coran qui vient confirmer les Ecritures antérieures dans ce qu'elles avaient d'authentique et de corriger ce que des mains humaines avaient falsifié (tahrîf). « Moi qui suis né chrétien, poursuit Pascal, quand on m'a mis sous les yeux le verset : "Dis, ô Gens du Livre, venez-en à une proposition identique entre vous et nous, à savoir que nous n'adorons que Dieu, que nous ne Lui associons rien, que nous ne prenons pas certains d'entre nous pour seigneurs en dehors d'Allah", la lumière s'est faite en moi, ce fut, pour reprendre la formule connue, mon chemin de Damas. » Depuis une vingtaine d'années, l'Institut Al-Ghazali accueille 300 étudiants de toutes origines et de toutes nationalités. Si l'on ajoute les jeunes femmes qui font l'apprentissage du Coran et s'exercent à la mémorisation de ses sourates, le nombre des inscrits atteint, ces trois dernières années, 900 étudiants, relevant de l'esprit de l'islam pour qui seule la foi compte. En effet, ni la condition ni l'origine ethnique ne sont des facteurs déterminants. Ce n'est pas sans raison que l'Institut porte le nom d'un savant persan que la tradition musulmane décore du surnom de « la preuve de l'Islam » (hujjât al-Islâm). Ce n'est pas sans raison que le Prophète (saws) a fait de Bilâl, un ancien esclave noir, son muezzin. Tel est l'esprit de la religion musulmane et l'une des preuves de son universalité. La présence des musulmans en France en nombre significatif, leur enracinement en France et en Europe a rendu nécessaire, voire indispensable, la fondation de l'Institut Al-Ghazali. « Nous ne pouvons laisser les musulmans, les jeunes et les moins jeunes, sans instruction religieuse, sans connaissance de leur religion, de leur histoire et de leur civilisation », confie le Dr Djelloul Seddiki. « Et comment, ajoute-t-il, ne pas les plonger séance tenante dans le monde très riche de la Loi (shari'a) et de la spiritualité musulmanes ? Telle est la fonction qu'assure l'institut Al-Ghazalî qui, en permettant à de très nombreux musulmans français d'accéder à un savoir touchant la religion musulmane et de s'approprier les concepts et les notions, les problématiques et les perspectives qui leur permettront de vivre leur islam en toute connaissance de cause, dans la paix, la sérénité, mais aussi la vigilance et la rigueur. » De plus, le Dr Seddiki insiste sur la modernité des cours dispensés par l'Institut. « Il ne s'agit pas seulement de donner à nos étudiants un savoir historique sur le passé de l'Islam, bien entendu, cela est nécessaire et nous le faisons, mais les temps présents sont aussi importants. Il faut initier les étudiants à la pensée réformiste musulmane, les travaux d'Al-Afghâni, de Muhammad Abduh, l'héritage foisonnant de l'association des Ouléma, avec à sa tête le Cheikh Ibn Badîs, sont, de ce point de vue, incontournables. L'intérêt pour nos étudiants est d'apprendre que la réflexion en Islam, la recherche, en un mot l'ijtihâd, ont été au cœur des préoccupations des savants de l'Islam. » Le Dr Seddiki, qui m'a longuement reçu dans son bureau du 5e arrondissement de Paris, m'assure que ce qui lui importe, c'est de donner les plus larges perspectives sur l'Islam, son histoire et son actualité. « Nous voulons que nos étudiants aient une idée assez exacte de la pluralité des recherches, des problématiques du savoir en Islam. » En plus de la théologie, de la jurisprudence (fiqh), de la loi musulmane (Shari'a), l'exégèse coranique et les sciences du Coran et du Hadith qui sont la colonne vertébrale des enseignements de l'Institut, il y a aussi place pour la dimension spirituelle, la méditation, l'histoire, comme Ibn Khaldoun en a codifié les termes. Enfin, me précise le directeur de l'Institut Al-Ghazali, « nous tenons absolument à ce que nos étudiants soient formés dans les disciplines du droit français, qu'ils aient des notions précises sur les institutions de la République française et sur son histoire, notamment avec les pays musulmans. » L'Institut Al-Ghazali n'a pas seulement pour vocation de former des imams et des aumôniers. Sa finalité ultime est de fournir un savoir universitaire. L'importante communauté musulmane en France n'a pas seulement besoin d'être guidée, accompagnée, conseillée dans sa foi et dans ses pratiques religieuses, elle a aussi besoin de fonder ses pratiques et ses croyances sur un savoir digne de ce nom, sur une armature conceptuelle. A cet effet, l'Institut Al-Ghazali propose une licence de sciences islamiques. Elle fournit une solide formation dans les sciences religieuses, sciences du Coran et du hadith, en dogmatique, jurisprudence et casuistique. Belmadi, responsable pédagogique et professeur de dogmatique musulmane (aqida), insiste sur le fait que les programmes de l'Institut ont été approuvés et validés par les plus hautes autorités de l'Islam
sunnite, notamment l'université d'Al-Azhar, la Zeitouna et la Qarawwiyine. Une équipe d'une quinzaine d'enseignants, tous spécialistes de leur matière, guide et encadre les étudiants. Brahami Laïd, natif de Mostaganem et spécialiste de sciences religieuses, assure plusieurs cours, notamment le module sur les questions d'héritage et de succession (mawârith). Cette question est capitale dans le droit musulman, puisqu'elle a des implications pratiques dans la vie des musulmans et les étudiants sont conscients de l'intérêt que présente pour eux ce cours. Brahami, qui est de surcroît chargé de l'organisation des études, m'assure que les questions qui lui sont posées sont nombreuses car les étudiants sont très désireux de faire le tour de toutes les questions liées aux problèmes posés par les mawarith, les modes de calcul, etc. En outre, conscient de l'importance capitale de la maîtrise de la langue arabe, le directeur de l'institut, après consultations, a pris l'initiative de proposer des cours de langue arabe, à raison de douze heures par semaine et pour une durée totale de deux ans. Cette maîtrise de l'outil linguistique arabe est le préalable, une sorte de propédeutique, pour aborder les questions religieuses les plus subtiles et plus complexes. M'Saddek et Hocine Raïs, qui pilotent les cours d'arabe, attestent de la forte motivation des étudiants. Parallèlement, un cours de langue française est dispensé pour permettre aux étudiants de parfaire leur connaissance de cette langue ainsi qu'un cours de traduction qui donne aux étudiants accès aux techniques de la traduction et leur permet de maîtriser les termes techniques en usage dans les deux langues dans tous les domaines, notamment ceux des sciences de la religion et du fiqh. Depuis deux ans, le programme a été enrichi d'un cours sur l'histoire de l'immigration, assuré par Sadek Sellam, auteur de plusieurs travaux et d'un essai sur le sujet, La France et ses musulmans, 1895-2005 (Fayard). Il a paru aussi nécessaire d'introduire un cours de psalmodie du Coran qui a pour objet d'inculquer les règles de la psalmodie des sourates. Le cheikh Tahar, qui préside aux destinées de cet enseignement, me précise que ce cours a beaucoup de succès, car il répond à une demande réelle.Le Dr Seddiki tient à dire que conformément aux règles en usage dans les universités les plus modernes, il a pris le parti de faire fond sur l'intelligence des étudiants plutôt que sur leur mémoire. Bien entendu, me dit-il, la mémoire reste un outil indispensable. Pour faire comprendre cette idée, il prend l'exemple du Coran. Apprendre le Coran en sollicitant la seule mémoire est toujours possible, mais il est incontestable que la compréhension des versets du livre saint, la connaissance des Asbâb al-Nuzûl facilite grandement la fixation des versets et des sourates. Il y a donc un renouvellement des méthodes pédagogiques. En outre, pour encourager les étudiants à se forger une culture islamique et profane personnelle, une bibliothèque, abritant les livres essentiels et les ouvrages de référence ainsi que les usuels a été ouverte. J'ai pu personnellement vérifier qu'y figurent tous les ouvrages des plus grands savants de l'Islam. Le Coran, bien entendu en arabe et dans différentes traductions françaises dont celle de Penot par exemple. Les commentaires sont disponibles en nombre imposant, celui d'Al-Tabarî, d'Al-Qurtûbî, de Fakhr al-Dîn al-Râzî, des Jalâlayn. Pour ce qui concerne le hadith, les recueils d'al-Boukhârî et de Muslim, les Sunan de Al-Thirmidhî, d'Abû Daoud, de Ibn Mâja, de An-Nisâ'î. Une traduction française du Sahih d'Al Boukhârî, faite par les soins de O. Houdas et W. Marçais est disponible. Les étudiants peuvent consulter les ouvrages des quatre fondateurs des écoles, d'abord le Muwatt'a de l'imâm Malik, ensuite ceux de Abû Hanîfa, de Ahmad Ibn Hanbal et de l'imam Al-Shâfi'î. « Nous avons, conformément à nos traditions maghrébines, une prédilection pour l'école malékite », précise le Dr Seddiki. Les étudiants qui se destinent à un travail de recherche et à la rédaction d'un mémoire de fin d'études trouveront dans la bibliothèque de l'Institut les encyclopédies, les manuels, les dictionnaires et les livres spécialisés fournissant la documentation appropriée. Un poste budgétaire a été créé pour que les étudiants reçoivent le meilleur accueil. Sonia Kerouani, originaire de Sétif, en assume les fonctions. Elle est chargée de la réorganisation de la bibliothèque, d'établir la liste des livres qu'il convient d'acquérir et de guider les étudiants dans leur recherche. Cependant, l'Institut Al-Ghazali a pour ambition de rayonner plus loin, plus avant. Son directeur voudrait le hisser à la hauteur d'une institution universitaire internationalement reconnue. C'est pourquoi des accords ont été conclus avec des universités arabo-musulmanes, algériennes en premier lieu, mais aussi tunisiennes ou égyptiennes, pour élaborer des programmes d'études communs, pour faciliter les équivalences et donner aux étudiants une ouverture culturelle et civilisationnelle qui leur permette d'étoffer leurs acquis. Dans la plus pure tradition islamique, la mosquée est, à la fois, un lieu de culte et un centre de savoir. Le Dr Djelloul Seddiki fait des efforts méritoires pour en améliorer le fonctionnement. Il demeure néanmoins conscient qu'il reste beaucoup à faire en termes de qualité, et il s'y emploie avec l'énergie et la détermination qui sont les siennes. C'est ainsi qu'est prévue la construction de deux amphithéâtres qui pourront accueillir des centaines d'étudiantes et d'étudiants. Interrogé, le Dr Djelloul Seddiki m'a confié qu'il est presque « obsédé » par l'amélioration des conditions de travail de son équipe de professeurs. Il a demandé, à maintes reprises, la réévaluation des salaires. Il a néanmoins précisé qu'il a exigé de ses enseignants une assiduité et une ponctualité sans faille.Seddiki m'a fait part des difficultés qui sont les siennes et de la mauvaise volonté des pouvoirs publics, notamment l'Institut catholique de Paris, qui n'envisagent la collaboration qu'à sens unique, et qui, de plus, n'ont jamais eu l'élégance de considérer l'Institut Al-Ghazali comme un partenaire à part entière. Cette attitude est éminemment regrettable, surtout à une époque où l'Etat français exige que les imams soient formés en France. Le gouvernement français se dissimule derrière le prétexte de la laïcité pour se dispenser de payer son écot. Mais j'ai pu constater, à travers ses propos, que sa détermination était intacte et qu'il comptait bien mener ce combat jusqu'à son terme.Mais il y a d'autres obstacles. L'Institut Al-Ghazali ne reçoit pas le budget qui lui est alloué par l'Etat algérien. Les blocages bureaucratiques, les lenteurs administratives expliquent que les décisions ministérielles n'ont pu être traduites dans les faits. Or, il serait dommage que cet institut, qui est le miroir de l'Islam algérien, en vienne à disparaître alors que le Dr Seddiki assure qu'il ne demande qu'un budget de l'ordre de 300.000 euros alors que d'autres institutions reçoivent des crédits beaucoup plus importants.Sur la voie des réformes, la voie est longue, étroite et semée d'embûches. Mais n'en a-t-il pas toujours été ainsi ? Sur la voie des réformateurs se sont dressés, de tout temps, les partisans de la sclérose et de l'inertie qui se plaisent aux charmes des situations enkystées. Mais l'essentiel est de ne pas succomber au découragement, car en ce domaine, toute avancée est une victoire, fut-elle des plus modestes.
(*) Docteur en philosophie (Paris-IV, Sorbonne)


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