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« Il est préférable d'investir dans la formation »
Madjid Merdaci (sociologue)
Publié dans Horizons le 19 - 10 - 2014

L'universitaire, Madjid Merdaci, qui est l'un des rares spécialistes de la musique malouf (auteur de l'ouvrage Dictionnaire des musiques citadines de Constantine) nous explique, à travers cet entretien, la contribution précieuse des associations musicales constantinoises dans la transmission du malouf aux nouvelles générations, la mutation de cette musique et de son public. Selon vous, la prolifération des associations dédiées au malouf, ces derniers temps, est-elle profitable à cette musique ?
Les premières associations à Constantine sont apparues dans les années 1930. Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, l'activité est devenue intéressante, même si la principale association « El mazhar el fanni el Kassentini » a cessé de fonctionner en 1955. A cette époque, c'étaient plutôt les petits orchestres de quartiers qui perçaient, à Sidi Djlisse ou à la vieille ville. Et c'est dans ce cadre-là qu'ont émergé des chanteurs comme Salah Rahmani ou Mouloud Bahloul. L'exception était l'association « El moustaqbel el fenni el kassentini » créée en 1966. C'est une association baroque parce qu'elle regroupait, d'une part, des éléments de l'orchestre de la Casorec (NDLR : caisse sociale de la région de Constantine), et d'autre part des musiciens qui tournaient dans un local, parmi eux je cite Mohamed Berrachi, Hamdani Hamadi, ou Mouloud Bahloul, encadrés par Kaddour Darsouni. C'était une construction aventureuse mais qui a remporté le troisième prix au premier festival de musique classique algérienne. Puis ils remettent ça en 1968. Ils ont eu le premier prix qui leur a été remis par Houari Boumediene au palais du peuple. A partir des années 1970, la musique passait par le marché, les enregistrements, et de l'autre côté un segment identitaire citadin autour de Abdelmoumen Bentobal où la musique restait d'intérieur et d'endogamie. Ça a fonctionné ainsi jusqu'à la fin des années 1980 où il y a eu une expérience pionnière à Alger avec l'association « El Fakhardjia ». Et sa particularité est que des mélomanes algérois se sont rassemblés pour réactiver la mémoire des frères Fakhardji. En même temps, à Constantine, des amis et des proches de Bentobal ont pris acte de cette innovation et ont créé l'association « El Bestandjia ». De son côté, Mohamed Tahar Fergani, apprenant l'existence de cela, fonda sa propre association, au début, « El Badissia » - la famille Benbadis refusa ce nom - puis « El Fergania » en référence à Hamou El Fergani. Il y a eu aussi « Mohibi El fen » sous l'autorité de Abdelkader Toumi. A la fin des années 1990, il y a eu une réactivation de l'idée associative avec une multiplication d'associations, « Maqam », « Ahmed Bey », « Ichbilia », « El Inchirah », au minimum une dizaine d'associations qui activent à Constantine. En plus, il y a la réouverture du conservatoire - fermé à la fin des années 1980 - et dans lequel on assure une formation de qualité. Tout cela permet de rassembler les jeunes et surtout de renouveler et rajeunir les musiciens. Il y a eu également un phénomène sociologique important qui accompagne ce mouvement, c'est la féminisation de la pratique musicale. Il n'y a pas d'association qui ne compte pas de jeunes filles, c'est une donnée sociologique qui indique les profondeurs de la mutation de la société constantinoise.
Et qu'en est-il de l'apprentissage ?
Aujourd'hui, il y a ceux qui ont une très forte personnalité et qui se sont formés sur l'érudition et le savoir, et il y a ceux qui se sont construits dans le moule du système Fergani, qui reprennent sa voix, sa stratégie, l'instrument. Donc ce sont deux tendances, la première est culturaliste et dont la figure de proue est Mourad El Aïb, et la deuxième qui représente la tradition du marché incarnée par Salim Fergani. Entre ces deux là, il y a de la place pour les nuances ou pour les croisements.
Deux festivals dédiés au malouf sont organisés chaque année à Constantine. Pensez-vous qu'une telle initiative contribue au rayonnement de cette musique, notamment auprès des jeunes ?
J'ai participé à l'organisation du premier festival de malouf à Constantine en 1981. Et j'ai vu évolué les concepts. Il y a énormément de dépenses d'argent public, mais il n'y a aucun retour sur investissement. Aujourd'hui, nous n'avons pas besoin de répéter ce qui a été fait ou ce qui a été enregistré, nous avons besoin d'une institution pour sauvegarder la mémoire musicale de la ville (photos, témoignages, enregistrements...), d'un institut de formation, d'une relance de l'artisanat lié à la musique. Je rappelle, qu'à l'heure actuelle, n'est pas capable de fabriquer un luth à Constantine. On est dans ce type d'incohérence, les festivals sont organisés au nom de la sauvegarde du patrimoine mais en vérité c'est de l'argent qui est versé à perte. J'ai 600 ou 700 heures d'enregistrements malouf, certains en ont 3.000 heures. Je suis disposé à verser tout ce que j'ai (documents, photos ou enregistrements)
Justement, à l'occasion de la manifestation « Constantine capitale de la culture arabe 2015 », on prévoit de créer un institut dédié au malouf...
Tout est parti de la manifestation de Tlemcen en 2011. Les Tlemcéniens sont puissants et cohérents. Ils ont fait pression pour créer un institut de musique andalouse. On ne pouvait pas faire moins à Constantine. Mais pour mettre en place une telle institution, il faut procéder à des études préalables, faire appel à des experts, des urbanistes, des historiens. Puis détailler la configuration de l'institut. On a plus besoin de consigner l'histoire des musiques de Constantine. Nous n'avons aucun musicologue en Algérie. Il faudrait assurer des formations académiques pour les chercheurs qui, ensuite, sauront faire des études comparatives entre les différentes musiques ou noubas. Il est préférable d'investir dans la formation et dans le durable, plutôt que dans l'événementiel.
On sait que le malouf évolue au fil des années, est-ce que cela suscite l'adhésion du public ?
Le paradoxe c'est qu'à l'origine, ces musiques, que j'appelle citadines, sont des musiques d'intérieur. Ça se jouait dans les foundouks ou les maisons. Le malouf repose sur un postulat esthétique, une sorte d'interface entre le musicien et le mélomane ou une relation interchangeable entre les deux. Cette musique s'écoute par les yeux, il y a de l'émotion. C'est basé sur des données relationnelles et pas sur des données de statistiques ou de public. Lorsqu'on a sept musiciens entourés par une vingtaine de personnes, ce sont plusieurs centaines d'histoires personnelles qui se croisent, il y a des émotions, de la mémoire, de la connivence. C'est dans ce cadre que la musique encadre le lien social. Dans les festivals, le public est anonyme. L'enjeu, aujourd'hui, n'est pas seulement de former les musiciens, mais aussi le public. Les artistes peuvent, par exemple, accepter l'idée de jouer devant une vingtaine de personnes tout en leur expliquant leur musique. Quelqu'un qui n'a pas été socialisé par la tradition musicale de Constantine est en droit de connaître cette musique. Si on élargit la base de ceux qui savent écouter le malouf, on garantira la pérennité.


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