Quels furent le rôle et l'impact de l'image, du cinéma et des reportages dans la guerre d'indépendance ? C'est à ces questions que les invités du forum du quotidien Ennasr ont tenté de répondre jeudi et hier. Parmi eux, on a noté la présence de l'historien Benjamin Stora, du critique Ahmed Bedjaoui et de Marie-Joëlle Rupp, fille de Serge Michel. Dans son intervention, Bedjaoui a retracé le cheminement des cinéastes, photographes et reporters algériens ou étrangers qui étaient au service du FLN. La cellule audiovisuelle du FLN était composée de Djamel Eddine Chanderli, Mhamed Yazid ou encore René Vautier et Pierre Clément. Avant de filmer les premières images de la guerre en 1956, le premier était caméraman. « L'image a joué un rôle crucial dans l'internationalisation de la guerre de libération », a-t-il affirmé. « Nous avons eu une brigade internationale de l'image avec comme capitaine Chanderli. Mhamed Yazid ou Chanderli ont fait du lobbying pour attirer les reporters américains tel Joe Kraft qui au début défendait la colonisation avant qu'il ne soit invité par Mhamed Yazid. Trois mois dans les maquis ont suffi pour qu'il change de camp. Serge Michel était l'un des hommes essentiels de la cellule son et image du FLN », a expliqué Bedjaoui. Pour le conférencier, « le cinéma algérien n'a pas encore tout dit sur la guerre de libération. Des histoires et des événements n'ont pas été traités par des projets de fiction, alors que de l'autre côté, le cinéma français a largement contribué à déformer la réalité et à redorer l'image de la France coloniale ». Concernant les derniers films algériens, Bedjaoui salue deux projets de jeunes réalisateurs, à savoir le film « Fidaï » de Damien Ounouri, et « Loubia Hamra » de Narimane Mari. De l'Algérie au Vietnam Benjamin Stora a présenté de son côté une réflexion sur l'écriture de l'histoire par l'image. Il estime ainsi qu'il est tout de même très difficile de parler d'une guerre presque « sans images ». « Pendant très longtemps, les historiens considéraient l'écriture comme la source première d'une recherche. Il fallait attendre les années 1970 pour qu'on commence à s'intéresser aux images devenues aujourd'hui rremplaçables ». Pour lui, « la guerre de libération algérienne fut une guerre asymétrique ». « Les Français disposaient d'un stock de milliers d'images réalisées par des militaires ou des journalistes. Les algériens avaient beaucoup moins. Ce déséquilibre pèse sur la vision de la guerre. Cette provision en images ne veut pas pour autant assurer la victoire dans une guerre. Le contraire s'est d'ailleurs produit, et les Algériens sont sortis vainqueurs de cette guerre », a-t-il soutenu. Ce monopole des images a certes pesé pendant et après la guerre de libération, mais selon Stora, « à l'ère d'internet et de la télévision, la bataille de l'image continue. « Dans cette guerre de guérillas, les acteurs ne sont pas visibles, ils ne veulent pas qu'on les montre, ce qui explique pourquoi la guerre d'Algérie fut difficile à visualiser. Comment alors montrer une guerre clandestine ? Ce sont alors les principales difficultés du cinéma algérien et français. Cette guerre de libération a également inauguré la fin des images de propagande que l'armée française utilisait », a-t-il expliqué. Evoquant son séjour au Vietnam au milieu des années 1990, il a affirmé « avoir pu constater que les Vietnamiens avaient la sensation d'avoir perdu la bataille de l'image parce que les Américains avaient mis leur puissance de feu à travers leur cinéma ». « Personne ne connaît vraiment le cinéma vietnamien, et peu de gens savent qu'il y a eu deux millions de morts. Il se passe la même chose en France, on ne connaît pas vraiment le nombre de victimes algériennes. Les Français ont le sentiment qu'il y a eu quelques victimes, quelques événements et c'est tout », a-t-il fait remarquer. « En l'absence d'images, des Français croient toujours qu'il n'y a pas eu de torture ou de massacres. La reconstruction de l'histoire par l'image est importante, une image peut à elle seule remettre en cause des centaines d'écrits ou de travaux historiques », a-t-il conclu.