Habit de la tristesse ou de la pudeur, la mlaya de Constantine est, aujourd'hui, en voie d'extinction. La légende dit que les femmes de l'Est portent la mlaya en signe de deuil après la mort tragique de Salah Bey, le plus connu et le plus respecté des beys de la ville. Celui-ci, qui régna durant 21 ans, fut étranglé. Une mort qui avait bouleversé les habitants, au point que certains lui avaient rendu hommage par un poème « Galou Laârab galou » traduisant les circonstances de sa mort et repris plus tard par des chanteurs de malouf. La mlaya exprime toute la tristesse d'une ville marquée par le règne de Salah Bey dont on dit qu'il a grandement contribué à sa prospérité. Très vite, la mlaya est adoptée par toute une population. Une tradition jalousement conservée et transmise de génération en génération par les familles constantinoises depuis la fin du XVIIIe siècle. D'autres donnent une toute autre version, selon laquelle le port de la mlaya remonte à la période fatimide et est de coutume chiite. Qu'importe, la mlaya a longtemps dominé l'habit traditionnel constantinois alors que dans les autres régions du pays, les femmes arboraient le haïk blanc. Ce vêtement, qui est une longue étoffe, se distingue, surtout, par sa couleur, le noir, accompagné par un petit tissu blanc appelé le « âajar » qui dissimule le visage. Facile à porter, elle est également simple à confectionner. Durant la colonisation, la mlaya était largement répandue dans la ville, les Constantinoises se distinguaient ainsi des femmes européennes. Aujourd'hui, dans les rues de Constantine, rares sont les femmes qui sont vêtues de cet habit. Tout comme les vêtements traditionnels masculins, la mlaya se raréfie lentement jusqu'à risquer de disparaitre, au profit de modes venues d'Occident ou d'Orient. Les Constantinois des temps modernes, en particulier les femmes, regrettent la perte de l'une des plus importantes et vieilles traditions de la ville. « Je sais que je ne porterais jamais la mlaya, mais cet habit reste tout de même une marque de fabrique de Constantine. Je suis très nostalgique de cette époque où la mlaya était portée par beaucoup de femmes, elle me rappelle ma grand-mère, mes tantes et mes voisines. Aujourd'hui, je ne comprends pas comment des femmes osent porter la burqa ou le tchador, alors que nous avons nos propres traditions », nous confie Souheila, 45 ans, enseignante à l'Université. Sortir la Mlaya de l'oubli A l'instar de ce qui se fait à Alger ou à Jijel pour le haïk, des associations tentent, depuis deux ans, de ressusciter ce patrimoine vestimentaire. Il y a un an, soit en novembre 2013, une vingtaine de jeunes filles portant la mlaya a défilé près de la maison de la culture El Khalifa, en plein centre-ville. Cette initiative, lancée par un groupe de jeunes via les réseaux sociaux et baptisée « journée de la mlaya », a remporté un franc succès. Les passants ont pu admirer le charme de ces filles qui avaient joué le jeu et s'étaient volontiers prêtées à des séances photos au square Bennacer. Récemment, au mois de mai dernier, c'est un autre défilé de mlaya qui fut organisé dans les jardins du palais d'Ahmed Bey, au magnifique décor ottoman. « Khardjat L'Mlaya », comme désignée par ses concepteurs – toujours de jeunes gens qui ont lancé l'idée via facebook -, a attiré de nombreux photographes venus des quatre coins de la région Est. L'un d'eux, Hamada, nous dira, à ce propos, que les organisateurs ont eu beaucoup de peine à dénicher des mlaya, du fait qu'il n'y a plus de couturiers à Constantine qui les fabriquent. Les organisateurs ont dû emprunter des tenues à des particuliers.