Le défunt René Vautier avait 86 ans dont 65 consacrés à filmer, disait-il, « ce que je vois, ce que je sais, ce qui est vrai ». Comme la guerre d'Algérie qu'il a immortalisée avec « Avoir 20 ans dans les Aurès ». Mais entre l'Algérie et ce Che Guevara du cinéma, l'histoire remonte à plus loin. Plus exactement à 1953. Dans un documentaire qu'il a réalisé cette année-là, sur la base des déclarations des généraux français lors de la conquête coloniale, il a prédit l'indépendance de l'Algérie. Naturellement, ce film, « Une Nation l'Algérie », qui relate la conquête du pays, a déplu aux Français. Une phrase prononcée dans le film : « L'Algérie sera de toute façon indépendante » lui a valu une condamnation pour « atteinte à la sûreté intérieure de l'Etat ». Quand la révolution éclata, Vautier a voulu comprendre ce peuple. Il se rendit en Tunisie d'abord, dans les maquis ensuite. Partout, il tendit le micro aux moudjahidine. Il en sortit, en 1958, « Algérie en flammes ». Le film a été, naturellement, interdit en France mais a permis aux Algériens de contrer la propagande coloniale partout où le film a été projeté. « Peuple en marche » Une fois l'indépendance arrachée, le moudjahid Vautier revient auprès des siens, en Algérie. Il créa le Centre audiovisuel d'Alger, une structure destinée à former les futurs cinéastes et techniciens de l'Algérie indépendante qu'il dirigera jusqu'à son départ en 1966. Il réalisa, en 1963, le premier film de l'Algérie indépendante : « Peuple en marche », un film qui fait le bilan de la guerre d'Algérie, retrace l'histoire de l'ALN et montre le début de la construction du pays. Neuf ans après, il réalisa « Avoir 20 ans dans les Aurès ». Ce film culte, à la frontière du documentaire, montre comment un officier tortionnaire endoctrine des appelés bretons qui se retrouvent, ainsi, presque malgré eux, mêlés au système colonial. Primé au Festival de Cannes en 1972, - il a remporté le prix de la critique internationale -, ce film, le plus grand de Vautier, a été accueilli par des troubles à chaque projection. A Paris, un cinéma a même été victime d'un attentat perpétré par le Front national. Selon le cinéaste, la projection du film à Tourcoing, en 1997, a provoqué la colère d'un élu du RPR (l'ex-parti de Jacques Chirac). Ce dernier a voulu interdire le film qu'il a qualifié de « provocation et de trahison nationale ». D'autres films suivront. Parmi eux « La Folle de Toujane » (1973) « Le racisme en France » (1984) et « Vous avez dit français ? » (1990). Mondialement connu, mais pas en France « J'ai passé toute ma vie à faire du cinéma dans un secteur que j'avais choisi, celui où l'on ne risquait pas beaucoup de concurrence » disait-il. Tout un aveu. Le cinéaste, qui a réussi une impressionnante carrière cinématographique, - il a mis sa touche dans plus de 180 films - a vu tous ses films sur l'Algérie et le colonialisme interdits de diffusion. Même si quasiment tous ont eu des distinctions. En France et/ou à l'étranger. Cette « censure » fait dire à Olivier Azam que Vautier est mondialement connu, mais pas en France. D'où, dit-il, sa décision de rendre visible l'œuvre du cinéaste en voie de disparition. Dans les années 80, une partie des films du réalisateur a été détruite. Y compris « Afrique 50 », son premier court métrage qu'il a réalisé en 1950. Ce film réquisitoire dénonce les crimes commis par l'armée française et « l'instrumentalisation » des populations colonisées ». Outre sa censure pendant 40 ans, cette œuvre anticolonialiste a valu à son auteur 13 inculpations et une condamnation à un an de prison. Le cinéma français lui doit une avancée. En 1973, il s'est lancé dans une grève de la faim jusqu'à ce que le documentaire « Octobre à Paris », de Jacques Panijel, consacré au massacre d'Algériens le 17 octobre 1961 soit diffusé. Il a obtenu gain de cause après 33 jours. « Vautier, cet homme d'images à la vie mouvementée et dont l'engagement politique remonte à sa participation, à 15 ans, à la Résistance, c'était un juste », déclarait un jour un président du festival de Cannes. « Amené à utiliser une grenade, je m'étais dit que jamais plus je ne me servirai d'une arme », racontait le Breton en 2008, celui-là même qui a été décoré de la Croix de guerre pour faits de résistance par le général de Gaulle. En novembre 2014, à l'occasion du 60e anniversaire du déclenchement de la lutte armée pour l'indépendance de l'Algérie, la cinémathèque lui a rendu un hommage.