La guerre de libération a toujours été considérée comme un sujet tabou en France, la question qui fâche, et ce quelle que soit la couleur politique du président et du gouvernement. Les faits d'armes des combattants algériens, avant 1962, c'étaient les «événements» provoqués par les fellagas, après 1962, ça deviendra les «crimes du FLN». La torture institutionnalisée, les exécutions sommaires, les massacres collectifs, les viols et les assassinats commis par l'armée française et ses supplétifs sont qualifiés d'«actes isolés», quand ils sont reconnus. Et quand un journaliste ose mettre les pieds dans le plat, jette un pavé dans la mare qui fait remonter des vérités à la surface et provoque des vagues pouvant bousculer le consensus établi, on s'empresse de l'exclure de tous les cercles de débat, les rencontres et les médias. Seuls quelques titres français qui avaient pris fait et cause pour l'indépendance de l'Algérie osaient ouvrir leurs colonnes à ces «traîtres».Comme l'écrit frappé d'interdit, l'image est, elle aussi, tombée sous le couperet de la censure. Car, il n'y avait pas que des journalistes pour dire le drame de l'Algérie sous l'occupation et les sacrifices de son peuple pour obtenir son indépendance. D'autres «combattants» ont pris la caméra pour arme et l'image pour projectile, et leurs films étaient «dérangeants».A la tête de ces cinéastes engagés, le Français René Vautier, qui dès 1954, au lendemain du déclenchement de la guerre d'indépendance, a signé un film, Une Nation, à travers lequel il présente ce pays et cette nation qu'était l'Algérie, que la France voulait annexer par la force de armes. Quatre ans plus tard, celui qu'on surnomme désormais le cinéaste de la guerre, revient avec des images des maquisards algériens qu'il présentera dans L'Algérie en flammes. Djamel Chanderli, qui a travaillé avec René Vautier, marchera dans les pas de son aîné et réalisera en 1961 les Fusils de la liberté.Evidemment, Dame Anastasie veille au grain. Aucun de ces films ne sera projeté dans les salles en France, ni dans l'Algérie occupée. La censure demeurera même après l'indépendance de l'Algérie. Ainsi, le Petit soldat (1963) de Jean-Luc Godard sera interdit plusieurs années. Il aura fallu près de trois ans pour que le gouvernement lève la censure. Le ministre de l'Information de l'époque, Louis Terrenoire, justifiait l'interdiction du Petit soldat dans des termes sans équivoque : «Les paroles prêtées à une protagoniste du film et par lesquelles l'action de la France en Algérie est présentée comme dépourvue d'idéal, alors que la cause de la rébellion est défendue et exaltée, constituent à elles seules, dans les circonstances actuelles, un motif d'interdiction.» La censure du film le Petit soldat n'est pas un cas isolé. C'était la position officielle contre tous les films sur la guerre d'Algérie qui montraient le vrai visage de la France coloniale. Le couperet des censeurs tombera autant de fois qu'il le faudra. Il en sera ainsi avec le documentaire J'ai huit ans (1961) de Yann Le Masson, documentaire au format 8 mm décrivant la guerre vue par les dessins d'un enfant algérien, ou le documentaire Octobre à Paris (1961) de Jacques Panijel, qui montre la répression de la manifestation pacifique d'Algériens le 17 octobre à Paris. La Bataille d'Alger sera cet autre film qui subira l'interdit. Sorti en 1966, il ne fut permis d'exploitation en France qu'en 1971. Le film réalisé par le cinéaste Gillo Pentecorvo sur un scénario de Yacef Saadi, un des responsables du FLN à Alger. L'explication officielle que donnera l'administration française pour la censure du film sera : le traumatisme des rapatriés d'Algérie et la crainte que le film soit perçu comme «une provocation». Pourtant, le colonel Roger Trinquier, proche du général Massu, jugeait que ce film était loin d'être monolithique et caricatural. Même s'il arguait au passage que des scènes de torture pouvaient «vexer» et «blesser les Français». En fait, on reprochait au film de montrer la torture pratiquée par les militaires qui étaient couverts, encouragés même, par leur hiérarchie, l'administration, le gouvernement et le président français.Il faudra attendre le début des années 1970 pour voir la France devenir quelque peu permissive à l'égard des films critiquant le régime colonial français. Le Vent des Aurès (1966) de Mohammed Lakhdar-Hamina aura même le prix de la première œuvre à Cannes en 1967. Avoir vingt ans dans les Aurès (1971) de René Vautier décrochera, lui le Prix de la critique internationale au Festival de Cannes 1972 alors que Chronique des années de braise (1975) de Mohammed Lakhdar-Hamina sera sacré Palme d'or au Festival de Cannes 1975.A la fin des années 1970, la guerre d'Algérie est désormais au centre de débats et polémiques. Les films et les documentaires se succèdent pour montrer des réalités que la France ne pouvait plus cacher indéfiniment aux Français. Historiens, journalistes, auteurs et cinéastes français forcent la France à regarder en face son histoire maculée de sang. Et si elle se rebiffe encore, si la droite a toujours bonne audience quand il s'agit de «casser» de l'Algérien, si les révisionnistes n'ont pas baissé les bras, le débat est toutefois là. Avec l'arrivée d'une nouvelle génération de cinéastes, qui ont su prendre leurs distances avec le patriotisme béat, le nationalisme chauvin, la guerre d'Algérie est analysée avec un regard neuf. Les films et les documentaires ne sont plus censurés, même s'ils sont descendus en flammes, non par des critiques spécialisées et objectives, mais par des politiques, de droite et d'extrême droite, principalement. La torture, les ratonnades et les massacres, humains, économiques, sociaux et culturels, commis par la France coloniale en Algérie sont désormais sur la scène publique. Les documentaires riches en témoignages démontent et démentent la thèse des «bienfaits du colonialisme» défendue par les révisionnistes. Mais il reste encore à chercher et à dire sur la guerre d'Algérie. Et les documentaristes algériens devraient se pencher sur cette partie de l'histoire nationale et, surtout, être «encouragés» à le faire. H. G. FILMS SUR LA GUERRE D'ALGéRIE 1954 : Une Nation de René Vautier 1958 : L'Algérie en flammes de René Vautier - Djamila l'Algérienne de Youssef Chahine - Sakiet Sidi Youcef de Pierre Clément 1961 : Les fusils de la liberté de Djamel Chanderli - Le combat dans l'île de Alain Cavalier - Les oliviers de la justice de James Blue 1963 : Le Petit Soldat de Jean-Luc Godard 1964 : L'Insoumis de Alain Cavalier - Une si jeune paix de Jacques Charby - Muriel, ou le Temps d'un retour d'Alain Resnais 1965 : La Nuit a peur du soleil de Mustapha Badie - L'aube des damnés de Ahmed Rachedi 1966 : La Bataille d'Alger, film italo-algérien de Gillo Pontecorvo, Lion d'or à la Mostra de Venise 1966 : Les Centurions (Lost Command), film américain de Mark Robson - Le Vent des Aurès de Mohammed Lakhdar-Hamina, prix de la première œuvre à Cannes en 1967. 1968 : La Voie de Mohamed Slimane Riad - Hassan Terro de Mohamed Lakhdar-Hamina 1969 : Élise ou la Vraie Vie de Michel Drach - L'opium et le bâton de Ahmed Rachedi 1971 : Avoir vingt ans dans les Aurès, de René Vautier 1972 : Patrouille à l'Est de Amar Laskri - Décembre de Mohammed Lakhdar-Hamina 1973 : R.A.S. d'Yves Boisset. 1975 : Chronique des années de braise de Mohammed Lakhdar-Hamina, Palme d'or au Festival de Cannes 1975 1976 : La Question, film de Laurent Heynemann - Certaines nouvelles de Jacques Davila 1979 : Le Coup de sirocco d'Alexandre Arcady 1982 : L'Honneur d'un capitaine, de Pierre Schoendoerffer 1986 : Les folles années du twist de Mahmoud Zemmouri 1989 : Cher frangin, de Gérard Mordillat 1994 : Des Feux mal éteints, de Serge Moati 1996 : Mon Capitaine, film de Massimo Spano 2003 : L'Adieu de François Luciani 2004 : Nuit Noire de Alain Tasma 2005 : La trahison de Philippe Faucon 2006 : Cartouches gauloises de Mehdi Charef - Mon colonel, de Laurent Herbiet 2007 : L'Ennemi intime de Florent Emilio Siri - Cartouches Gauloises de Mehdi Charef 2008 : Arezki l'insoumis de Djamel Bendeddouche 2010 : Ce que le jour doit à la nuit d'Alexandre Arcady DOCUMENTAIRES 1961 : J'ai huit ans, de Yann Le Masson, documentaire au format 8 mm décrivant la guerre vue par les dessins d'un enfant algérien 1961 : Octobre à Paris de Jacques Panijel, à propos de la répression de la manifestation d'Algériens d'octobre 1972 : La guerre d'Algérie, d'Yves Courrière et Philippe Monnier 1991 : La guerre sans nom de Bertrand Tavernier 2001 : 17 octobre 1961- Dissimulation d'un massacre de Daniel Kupferstein 2002 : L'ennemi intime de Patrick Rotman 2004 : Escadrons de la mort, l'école française de Marie-Monique Robin 2005 : Nuit noire 17 octobre 1961 d'Alain Tasma 2008 : Le Destin d'un capitaine, Alain de Sédouy