Après plus de cinq heures de débats et de plaidoiries, le tribunal criminel près la cour d'Alger a prononcé, lundi dernier, une peine de cinq ans de prison ferme contre une notaire reconnue coupable de « falsification d'un document officiel en agissant sur la base de déclarations de personnes, tout en sachant qu'elles étaient fausses ». Un acte puni par l'article 215 du code pénal. L'accusée a été déjà condamnée à 5 ans de prison, par le même tribunal, et avait introduit un pourvoi en cassation auprès la Cour suprême. La mise en cause avait enregistré, au mois d'octobre 2003 dernier, un acte notarié sur une villa située à Birkhadem au profit d'un client sans prendre en compte l'opposition du propriétaire qui a renoncé à la vente de son bien, selon l'arrêt de renvoi. Les faits remontent au mois de janvier 2004 quand la victime, K. B., s'est présentée devant les services de sécurité pour déposer une plainte contre la notaire pour falsification de la promesse de vente de sa villa. K. B. l'a contactée pour l'élaboration d'un contrat de vente, mais vu qu'il ne possédait pas d'acte de propriété de la villa, la notaire lui a conseillé d'établir une promesse de vente, et à l'acheteur, une reconnaissance de dette. Devant le juge d'instruction, la victime a déclaré avoir rencontré l'acheteur dans le bureau de la notaire et l'avait informé de sa volonté de résilier le contrat. « Il avait pris cette décision suite à la lenteur de l'acheteur dans le paiement de la somme d'argent », a rapporté son avocat, affirmant que le jour de la signature de la transaction, le 9 janvier 2004, K. B. était en France pour des soins. Il est revenu à Alger au mois de février 2004. Appelée à la barre par le président de l'audience, le magistrat Omar Benkharchi, la notaire, incarcérée depuis 2013, a nié l'accusation retenue contre elle, tout en soutenant que le plaignant était présent lors de l'élaboration de l'acte et avait apposé sa signature à côté de celle de l'acheteur. Elle a reconnu avoir commis « une erreur » dans la mention de la date, mais celle-ci existe dans les traditions du travail du notaire. Elle a reconnu, également, avoir rédigé le contrat en date du 8 janvier 2003 et l'a enregistré le 23 octobre 2004, suite au paiement des frais d'enregistrement par les deux parties, alors que le propriétaire lui a affiché sa volonté d'annuler la transaction. L'accusée a précisé qu'elle a fait cela en se basant sur la promesse de vente conformément à la loi. « Le plaignant était présent et a signé », a-t-elle maintenu. L'avocat de la partie civile, Me Abtout Sid Belhakem, convaincu que le délit reproché est prouvé, a souligné que « la date est l'une des conditions de l'élaboration d'un contrat ». Il a signalé que son client a transmis une correspondance à la notaire par voie de justice signalant qu'il considère « la promesse de vente avec date butoir comme nulle, vu que l'acheteur n'a pas donné suite à cette promesse », précisant qu'il n'a pas signé le contrat. Le témoin, à savoir l'acheteur de la villa, I. M., s'est contredit à plusieurs reprises lors de son audition. Confronté à ses déclarations devant le juge d'instruction, il a affirmé qu'il ne se rappelait pas des faits. Ce dernier occupe la villa depuis le mois de juillet 2013. Le procureur général, qui a qualifié les faits de « graves », a requis une peine de réclusion criminelle de 12 ans. La défense a mis l'accent sur l'absence de délit de la falsification. Le magistrat, Benkharchi, répliquait, à chaque remarque, pour préciser que le plus important dans cette affaire est la signature du contrat par les deux parties, ce qui a « irrité » l'avocate de la défense, Me Zoubida Assoul, qui a tenté de disculper sa cliente en se basant sur l'absence du délit de falsification, du préjudice et de l'intention criminelle de la notaire . La preuve, elle a relevé que le plaignant avait saisi la même notaire, quelques mois après cette affaire, pour l'élaboration d'un contrat d'achat d'un appartement à El Mouradia. « Où est le préjudice dans cette affaire ? La Cour suprême a ordonné au juge chargé de l'affaire d'estimer le préjudice. Ma cliente a agi légalement. Il n'y pas de textes de loi qui stipule l'annulation d'un contrat par le notaire. Ce n'est pas dans les prérogatives du notaire. Bien au contraire, ma cliente avait exigé un acte de propriété et un certificat de conformité avant de conclure la transaction. Elle a refusé, également, d'établir le contrat suite à l'estimation du prix réel de la villa », a-t-elle expliqué. L'avocate a, également, soutenu que le témoin, qui est une partie dans le conflit, « ne peut pas être neutre, ni objectif. » Après délibération, le tribunal criminel a condamné à 5 ans de prison ferme. Des notaires : « Nous sommes victimes de la mauvaise foi de certains clients » Plusieurs notaires ont assisté au procès en signe de soutien à leur collègue. « Nul n'est à l'abri. Les poursuites judiciaires se sont multipliées ces derniers temps contre notre corporation à cause de la mauvaise foi de certains clients qui présentent de faux documents administratifs, de fausses identités. D'autres nient avoir signé des contrats ou documents, quand ils veulent annuler la transaction. On est poursuivi pour faux et usage de faux parce que c'est la seule accusation. Le notaire n'est pas poursuivi pour faute professionnelle, négligence ou erreur grave », ont déploré des notaires rencontrés à la cour d'Alger. « Nous demandons qu'on soit mieux protégés dans notre mission, en l'absence d'un syndicat. Certes, il existe une chambre nationale des notaires, mais sa mission se limite à l'organisation de la profession », a déclaré un notaire de la wilaya d'Alger. Certains de ses collègues ont équipé leurs cabinets et bureaux de caméras de surveillance comme moyen de protection et preuve matérielle de la présence de clients lors de la signature de contrats. Près de quinze notaires, dont des femmes, ont été interpellés par les services de sécurité dans des affaires liées, notamment, à la falsification de documents administratifs d'héritage, de vente et de location.