Le jour d'Achoura, le dixième (achoura) du mois de Muharram a des significations bien variées dans tout le monde musulman. Jour de deuil et de tristesse pour les chiites qui revivent chaque années le martyre de Hussein et de sa famille, le petit-fils de Mahomet tué par les califes ommeyades dans la lutte pour le pouvoir, il devient beaucoup plus anodin dans le monde sunnite, où il n'est plus qu'un des deux jours de jeûne devenus facultatifs après l'institution de Ramadan. Il peut aussi être associé aux morts, à la visite du cimetière, où on allumera des bougies le soir, comme en Tunisie. En même temps, il est, surtout en Afrique du Nord, associé aux très anciens rites de résurrection, et, toujours en Tunisie, on allume des feux au dessus desquels les enfants sautent en chantant. Au Maroc, c'est avant tout la fête des enfants et de la famille. C'est comme toutes les fêtes un jour de charité, et la repentance héritée de la signification première d'Achoura (reprise par Mohammed (saw) du jeûne de Yom Kippour, le grand pardon) reste attachée au jeûne religieux. Mais pour les enfants, il n'y a que la fête. Ils reçoivent des habits neufs des jouets, des pétards, de petits instruments de musique, ils déambulent dans les rues en demandant quelques dirhams aux passants, et ils se préparent pour le grand jour du lendemain, “Zem-Zem”. Zem-Zem au Maroc, c'est le jour de l'arrosage. Tous les enfants (normalement de moins de 12 ans) ont une liberté totale pour arroser les grands, ils courent autour des fontaines pour faire provision et retourner asperger amis et voisins. Dans les campagnes, des rites proches de carnaval existent aussi. Les hommes se déguisent en femmes, et passent d'une maison à l'autre en chantant… Dans notre sud, à Tazzarine, un homme va s'habiller de façon un peu effrayante, et mettre sur sa tête des branches de palmier enflammées, disposées comme des cornes. Suivi de tous les enfants du village qui chantent, rient et chahutent, il passe de maison en maison, toquant à chaque porte pour demander du Gaddid (la viande de mouton, épicée et séchée, qui peut se conserver une année entière), insistant et restant sur place si une famille un peu avare refuse de donner son dû. Mais il emporte toujours gain de cause, et, accompagné de tous les enfants, il finira la soirée dans un coin du ksar, partageant généreusement avec eux son Gaddid, dans un festin à la fois joyeux et délicieux.