L'aventure prêterait au rire pour les gardiens du temple de ce prestigieux patrimoine poétique et musical, rétifs à toute expression extra-muros, féminine de surcroît. Mais les rares hardis applaudiraient à tout rompre le spectacle donné, dimanche, par la troupe du Chaâbi au Féminin à la salle Ibn Khaldoun à Alger, à l'initiative de l'Eablissement arts et culture de la wilaya d'Alger, à l'occasion de la Journée mondiale de la femme. Lancé en 2013, depuis Paris, par Mourad Achour, animateur d'une émission musicale sur Beur FM, ce spectacle prometteur qui émerge peu à peu dans le Vieux continent, a pour priorité de rendre au sexe dit faible sa part de cette musique jalousement gardée par une gent masculine clamant à cor et à cri une inexpugnable « chasse gardée ». « Beaucoup croient que l'amour du chaâbi algérois, l'état d'esprit, le chant et sa transmission ont toujours été l'apanage des hommes. La sensibilité féminine apporte une dimension plus douce, sans déformer le fond », soutient pourtant le fondateur de l'orchestre. Craignant sa réticence, Nacéra Mesbah, Amina Karadja, Syrine Benmoussa, Hind Abdellalin, Malya Saâdi et Hassina Smaïl (les six interprètes du groupe) ont découvert, avec joie et surprise, un public féminin totalement acquis à leurs belles voix. C'est un chaâbi décomplexé qu'elles ont défendu avec hargne et beaucoup de savoir-faire à travers une longue escapade musicale (Rihla Chaâbia) reprenant les vieux tubes des grands maîtres du genre, tels que « Seb'hane Allah Yaltif », œuvre magistrale du poète-penseur Mustapha Toumi, immortalisée par El Hadj M'hamed El Anka ou encore « Aman Aman âla Zman », de Boudjemâa El Ankis, « Dj'helt koul saheb » de Amar Ezzahi, « El Bareh » d'El Hachemi Guerouabi, « Wallahi madrit » de Dahmane El Harrachi... En un mot comme en cent, les hommes sont avertis. Et pourtant... c'est un homme qui prendra le relais pour embraser d'entrée une salle qui couvait déjà son feu : Hocine Lasnami. L'idole de ces femmes venues en masse lui témoigner une fidélité qui n'a pas pris un coup de blues. Tiré à quatre épingles dans un costume de haute couture, le dandy de la chanson algéroise n'a pas fait mystère de sa promesse de donner du bonheur à ces centaines de mélomanes. Accompagné d'un orchestre de premier ordre, cet auteur-compositeur et interprète s'est livré, deux heures durant, à une nostalgie qui lui ronge, à ce jour, les tripes. Au bonheur de son monde, jeune et moins jeune, il sort du cartable quelques vieux et moins vieux tubes qui ont fait de lui ce qu'il est aujourd'hui. « Chouf dak zine », « Maad chi lia », « Rayon de Soleil », « Keddaba », « Leila ou leila », « Mama hayek mremma », et, bien évidemment, l'indétrônable « Algérienne » qui mit sens dessus dessous une salle incroyablement bondée. Avec une aisance déconcertante, il virevolte, dans une ambiance acoustique, d'un répertoire à autre, plongeant ses invitées tantôt dans l'univers ensorceleur de l'Orient, tantôt dans un Algérois dont il a le secret de la magie. Bonne et heureuse fête à nos mères, nos femmes, nos filles et nos sœurs.