est le pays des montagnes. Flanc contre flanc, elles semblent jouer du coude pour se faire une place qui convienne à leurs tailles. Pour arriver chez les Ath Brahem, dans la commune de Derguina, à environ une cinquantaine de kilomètres de Bejaïa ville, les choses ne sont pas aussi simples. Déjà, il faut pas mal tourner, et gare à celui qui rate un virage. C'est le plongeon dans l'oued, quelques centaines de mètres plus bas. Pas réjouissant du tout. La chaussée, grignotée par le précipice et comme atteinte d'une grave variole, glisse en ce jour pluvieux. L'appréhension se lit sur tous les visages. Pourtant, contraints ou contrits, les habitants l'empruntent quotidiennement, pour faire le marché, accomplir une formalité administrative, aller chez le médecin ou rejoindre le lycée. La route cède ensuite le pas à une piste malmenée. Ce sont les gens du coin, avec leurs moyens, qui l'ont taillée, il y a presque un quart de siècle sans connaître d'autre que la dégradation. C'est tout de même le tronçon le plus aisé, même si les randonneurs l'arpentent à pied. Puis c'est carrément l'escalade du flanc de montagne, raide. La prudence est de mise en raison du danger de glissade. Après avoir ahané un bon quart d'heure, supporté les piqûres de plantes hérissées, décidées à ne pas se laisser impunément piétiner, et quelques coups d'œil aussi craintifs que furtifs pour jauger le vide en dessous, on arrive enfin à destination : un bout de terre au bord d'un autre abîme à partir duquel on pouvait admirer, sur le versant de la montagne en face, une eau pure et impétueuse se frayer un chemin dans les entrailles de la montagne et bondir en cascade avant de, en arrivant plus bas, s'enfuir au gré des circonvolutions d'un torrent crachotant de furie. Un saut qui donne le vertige et un paysage magnifique qui mérite, assurément, l'effort accompli. Les randonneurs s'emplissent les pupilles de la beauté du site qu'ils visitent pour la première fois, puis s'égaient aux alentours pour dénicher le meilleur angle de prise de vue. « C'est la cascade la plus haute d'Algérie, elle est à trois cents mètres, affirme Rabhi Amar, président de l'association Assirem Gouraya, qui a organisé, samedi dernier, cette randonnée à l'occasion de la célébration de la Journée mondiale de l'eau. Choix judicieux du lieu car, ici, l'eau coule de partout. La terre en est toute imbibée, les oueds et torrents gonflés et des montagnes, quand leurs cimes ne portent pas leur turban de neige, giclent des cascades à profusion. Le ciel, lui-même, était peu avare ce jour-là. Peut- être pour contrarier les météorologistes, ou juste pimenter la sortie des randonneurs.C'est le pays des cascades, mais c'est loin d'être le pays de Cocagne. Abdellah Brahem, enseignant de son état, raconte à l'assistance les difficultés de vivre dans ce pays oublié des autorités locales, soulignant ce paradoxe d'Ath Brahem d'être « le pays de l'eau, mais où les habitants n'ont pas l'eau courante chez eux. Toute cette eau va à la mer », se désole-t-il. C'est aussi le pays des éboulis, des forêts incendiées, des arbres inutilement et inconsciemment coupés ou déracinés par les mouvements du sol gorgé d'eau, des sangliers affamés qui ravagent la moindre tentative d'entretenir un potager, des élèves qui doivent se farcir plusieurs kilomètres pour rejoindre leurs bancs de classe.Mais peut-être que la venue de touristes fera bouger un peu les choses. C'est ce que pense Amar Rabhi qui s'est promis, à travers son association, de promouvoir ce pays aux charmes encore ignorés, y compris des Bejaouis. Il y a encore, en effet, beaucoup à découvrir chez les Ath Brahem : les paysages, l'accueil chaleureux, les traditions, bref, tout ce qu'un bon terroir peut proposer au visiteur curieux de tout.