L'ombre de Martin Luther King, dont l'assassinat le 4 avril 1968 a plongé l'Amérique dans la spirale des émeutes touchant 125 villes, a plané sur Baltimore. L'ironie du destin veut qu'à l'ère du premier président noir, cette ville déshéritée à majorité noire (65% des 2 millions d'habitants) est dirigée par un Afro-Américain. Tous les ingrédients de la violence raciale se trouvent réunies pour faire de « l'étincelle » provoquée par la mort en prison, le 19 avril, d'un jeune Afro-Américain de 25 ans, Freddy Gray, après avoir été blessé lors de son arrestation, la nouvelle poudrière de l'Amérique des droits civiques en crise. A l'issue de deux journées d'émeutes qui ont fait 6 morts et 700 blessés, le couvre-feu instauré mardi dernier de 22h à 5h par le gouverneur républicain du Maryland, Larry Hogan, rapidement défié par les manifestants, a certes ramené le calme dans cette ville quadrillée par 2.000 grades républicains venus en renfort aux milliers de policiers chargés de « restaurer l'ordre ». Mais les séquelles attestent du malaise racial grandissant : des magasins, des voitures et des bâtiments saccagés, des arrestations de jeunes manifestants (10 contre 250 lundi dernier). Baltimore explose d'une rare violence difficilement contenue et de la défiance entre la police blanche et la communauté noire majoritaire. Le drame de Freddy s'ajoute aux nombreuses bavures policières enregistrées durant les deux mandats d'Obama et neuf mois à peine après le dérapage de Fergusson. Si le recours à la violence a été dénoncé par les habitants, la responsabilité de la police jugée « raciste et violente » et disposant du « droit de tuer » est largement stigmatisée. Délinquance, comme le soutient la majorité blanche, ou « racisme ordinaire » subi par la communauté noire ? Dans l'une des plus violentes villes des Etats-Unis, cernée de poches de pauvreté et gangrenée par la délinquance, la tolérance zéro de la police est mal vécue par la population locale. Entre 1992 et 2012, il est particulièrement frappant que 127 personnes aient été tuées par la police. Soit, précise-t-on, un nombre deux fois plus élevé que ceux des villes de taille similaire, comme Seattle ou Oklahoma City. L'état de pauvreté est aussi mis en évidence pour expliquer le phénomène de la violence raciale. Le cas pathétique du quartier démuni de Sandtown, considéré comme une véritable bombe à retardement, atteste des facteurs aggravants dont les chiffres égrenés par le journaliste du Washington Post, Michael Fletcher, qui a passé plus de 30 années de sa vie à Baltimore, livrent un tableau saisissant : un taux d'inoccupation cinq fois supérieur au reste de la ville, trois fois plus de non-diplômés, sept fois plus d'enfants affectés par des niveaux élevés de plomb dans le sang, un revenu médian presque divisé par deux. Face à cette situation dramatique, le président Obama à appelé à un « examen de conscience ». Dans sa première intervention suite aux troubles de Baltimore, mardi après-midi, sur la pelouse de la Maison-Blanche où il recevait le Premier ministre japonais, Shinzo Abe, Obama a mis le doigt sur la paie sociale. « Lorsque vous avez des communautés sans plus aucune perspective, où les enfants naissent dans une pauvreté abjecte, avec des parents incapables de les éduquer du fait de problèmes de dépendance à la drogue, parce qu'ils sont incarcérés, ou bien parce qu'ils n'ont pas été éduqués eux-mêmes (...), quand l'industrie des stupéfiants devient le principal employeur, si nous pensons que nous pouvons nous contenter d'envoyer la police pour faire le sale boulot et endiguer les problèmes (...), nous ne réglerons rien », a-t-il souligné. La riposte se décline en une mobilisation politique « comme on n'en a pas vu depuis longtemps », mais également dans un traitement « comme des criminels » des émeutiers et une révision déchirante de la police, appelée à « faire le ménage dans ses rangs », dans ses relations avec la communauté noire. C'est que dans « cette longue crise larvée », le président américain, qui a condamné les violences, a exhorté la police et les Afro-Américains à une « introspection » pour endiguer le mal.