La ville emblématique majoritairement peuplée de Noirs (80%), frappée de plein fouet par le chômage endémique (10%, soit le double de la moyenne nationale) et engoncée dans la misère (40% des foyers y vivent en-dessous du seuil de pauvreté), renoue avec le spectre du « Bloody Sunday » (Dimanche sanglant) qui plane sur l'Amérique traumatisée par la charge violente des forces de l'ordre opposée aux 600 manifestants noirs défilant pacifiquement pour le droit de vote. Les 3 marches de protestation, lancées par Amelia Boyton Robinsons et son mari, ont été le point culminant du mouvement pour le droit de vote activement soutenu par les représentants du mouvement afro-américain, dont la figure emblématique Martin Luther King, James Bevel et Hosea Williams. Deux semaines après la marche du 7 mars 1965, plusieurs milliers de personnes emmenées par le pasteur Martin Luther King quittaient de nouveau Selma pour rejoindre la capitale de l'Alabama, Montgomery, à près de 90 km de là, après plusieurs journées d'une marche entrée dans l'histoire. En bastion inébranlable, la petite ville de Selma s'identifie au combat mythique pour l'accomplissement du vieux « rêve américain ». Car, du « trauma de Selma » au « trauma de Ferguson », les maigres acquis du droit de vote, consacré par le Volting Rights Act signé le 6 août 1965 par le président démocrate Lyndon Johnson, et surtout la persistance de la haine raciale, ont nourri les désillusions de la communauté noire accrochée à l'espoir entretenu par l'accession à la présidence du premier président noir. « Il y a plus de Noirs dans le système correctionnel qu'il y en a eu dans l'esclavage », a martelé le chanteur John Legend, lors de la dernière soirée de remise des Oscars. Des chiffres d'inégalités raciales dans l'accès à l'éducation, à la richesse, dans la représentation aux postes d'autorité, instituent la ségrégation raciale. Au bout de deux mandats, le président américain se refuse naturellement à admettre la fin du racisme. C'est symboliquement sur le Pont Edmund Pettus qui fut le théâtre de la féroce répression des marcheurs de la liberté, il y 50 ans, que Barack Obama, accompagné de son épouse, de ses deux filles et de son prédécesseur George W. Bush, a reconnu les limites de l'héritage de Selma compromis par la violence raciale traduite par l'affaire de l'assassinat d'un jeune homme noir désarmé de 18 ans, Michael Brown, par un policier blanc à Ferguson, le samedi 9 août 2014. « Nous n'avons pas besoin du rapport de Ferguson pour savoir que cela n'est pas vrai », a déclaré Obama pointant l'index accusateur sur les comportements discriminatoires de la police « militarisée » et coupable, en 2012, de la mort de plus de 400 citoyens américains sous l'alibi de la « légitime défense ». La marche contre le racisme est loin d'être « terminée ». A l'heure des restrictions du droit de vote commises par certains Etats, le cinquantenaire de Selma vacille sur ses fondations les plus sûres. Face aux milliers de personnes, le président Obama a dénoncé le durcissement des lois pour « rendre le vote plus difficile » pour les minorités. « Comment cela est-il possible ? », s'est-il interrogé. Mais, par-delà la querelle des républicains et des démocrates, l'un des acquis majeurs est remis en cause. Le déni démocratique justifie la mise en garde du célèbre pasteur et militant des droits civiques, Al Sharpton, qui considère l'absence de mesures de préservations de ce « qui a été acquis » comme un manque de respect « envers ceux qui ont fait des sacrifices ». Voici ainsi venir le temps « plutôt à la protestation plus qu'à la seule célébration », fortement revendiquée par le pasteur Jesse Jackson appelant à s'attaquer « à la question de la pauvreté qui est une arme de destruction massive ». Dans la longue « marche pour la liberté » de l'Amérique voulue « plus juste, plus inclusive et plus généreuse », il reste beaucoup à faire pour l'accomplissement du destin de Selma.