Hosni Moubarak peut-il, après avoir laminé les Frères musulmans et marginalisé l'opposition laïque, prétendre avoir renforcé sa mainmise sur le pouvoir avant la présidentielle de 2011 ? Les analystes sont partagés. Certains estiment que cette victoire lui offre une assemblée « monocolore » et « sur mesure » pour préparer, y compris sa succession éventuelle, à l'intérieur des cercles du pouvoir. «Ce Parlement est conçu sur mesure pour correspondre au projet de succession», estime Amr el-Chobaki, du centre al-Ahram d'études politiques. Comme la plupart des analystes égyptiens, il est convaincu que le pouvoir pourrait revenir soit au fils du président, Gamal Moubarak, proche des milieux d'affaires ou au général Omar Souleïman, le patron des services de renseignements. « Rien n'est laissé au hasard. le PND a bien mené les législatives en vue de préparer la présidentielle et décourager encore davantage toute candidature d'opposition ou indépendante », affirme le politologue Emad Gad. D'autres pensent que la victoire à la « soviétique » du Parti national démocrate (420 des 508 sièges en lice, soit 83% contre 70% dans l'assemblée sortante) décrédibilise son pouvoir, déjà sous le feu de critiques internationales, présentées par Le Caire comme des «ingérences dans ses affaires». « Le parlement de 2010 est sans doute le plus illégitime de l'histoire contemporaine de l'Egypte et nul ne peut le prendre au sérieux », estime l'analyste Chadi Hamid, du Centre Brookings Doha. La coalition indépendante pour l'observation des élections appelle Moubarak à dissoudre le nouveau parlement qu'elle qualifie d'illégitime. Elle estime que « la légitimité de l'Assemblée était fortement en question » après les deux tours marqués par « des irrégularités à grande échelle qui ramènent l'Egypteà au moins 15 ans en arrière ». …OU D'EL BARADEI ? Mohammed El Baradei, l'ancien patron de l'Agence onusienne de l'énergie atomique, qui avait appelé au boycott des urnes, peut se frotter les mains après ce retour « à la période d'avant-1970 », quand l'Egypte du président Nasser vivait officiellement sous un régime de parti unique. Surtout s'il reste encore dans la ligne de mire du pouvoir qui lui en veut quand il réclame plus de justice sociale et des réformes. Marginalisé par l'opposition « participationniste », le prix Nobel de la Paix qui a séduit la jeunesse égyptienne, pourrait relancer son mouvement et s'avérer in fine le «seul gagnant» de ce scrutin. Le retrait de l'opposition est «une nouvelle chance pour le changement et une réponse à la tentative d'enterrer notre liberté», dit-il. Les Frères musulmans qui faisaient leur opposition au Parlement–ils avaient enregistré un succès historique en 2005 en raflant un cinquième des sièges– pourraient perdre leur image de « fréquentables ». Une partie d'entre eux pourrait être tentée de vouloir porter El Baradei à la présidence. Une autre de renforcer les « extrémistes » qui, profitant de la pauvreté, une éducation en lambeaux, un chômage endémique et une inflation galopante, montent en puissance. Les leaders de l'opposition n'excluent pas que le régime recoure à des méthodes musclées pour faire taire leurs voix. «Dans la panique, le pouvoir pourrait perdre son sang-froid et procéder à des arrestations et réprimer d'éventuelles manifestations de rue», estime Abdelhalim Kendil, le coordinateur du mouvement Kifaya. Les Frères musulmans, qui ne sont plus présentés par les médias officiels comme un « mouvement interdit » mais d'« organisation hors la loi », sont en alerte. Pour eux, «le risque de voir des arrestations massives des cadres dirigeants » de leur mouvement est réel. Il y a comme de comme de l'huile sur le feu au pays des pharaons.