On a beaucoup évoqué, à travers de multiples écrits d'acteurs ou chercheurs, la crise de l'été 62 et ses soubassements. Elle est devenue du domaine public et s'est libérée de la gangue de la censure qui a longtemps emprisonné l'histoire récente de notre pays. Par contre, peu de livres ont fixé la liesse du 5 Juillet, jour qui s'apparentait à une résurrection. Ecrit-on davantage pour exorciser la souffrance, tenir en respect les peurs et les angoisses ? La joie, qui marqua ceux qui l'ont vécue comme un privilège, est peu présente chez les romanciers algériens. Comme si, pour paraphraser Kateb Yacine, le bonheur doit davantage se vivre que s'écrire. Les témoignages sur cette date abondaient surtout sur les colonnes de journaux et dans les émissions radio-télévisées. Jusqu'au milieu des années 80, les éditions paraissant à cette date fourmillaient de souvenirs. Peu de recueils réunissant cette matière auront été publiés, afin de fixer pour l'éternité la palette d'émotions et de sensations fortes vécues lors de cette folle journée. C'est un peu pour cette raison qu'un livre, paru lors de la célébration du cinquantenaire de l'indépendance, garde encore toute sa valeur et sa saveur. Coordonné par le juriste et romancier Nourredine Saâdi, l'ouvrage réunit les textes de 17 auteurs (de Malek Alloula à Amin Zaoui) qui ont replongé dans leur adolescence, dans cette journée de vertiges. Alors « on ne pouvait imaginer un ion dans l'univers qui ne soit pas de cette fête chatoyante » (Arezki Metref). Ce fut « un jour débordant de lumière et de ciel bleu » (Maïssa Bey). Ivresse de joie Ceux qui ont collaboré à ce livre réunissant textes d'émotion et de réflexion ont ressuscité d'abord eurs souvenirs du jeudi 5 Juillet 1962. Ils sont précis comme ceux d'Abdelkader Djemaï présent ce jour-là, en compagnie de son père, au centre-ville d'Oran. La manifestation de joie collective allait d'abord virer au tragique par la faute d'un commando de l'OAS. La folie se poursuivra par les exactions du chef de bande, Attou Mockdem, qui se vengera aveuglement des pieds noirs avant d'être « arrêté et puni par l'ALN ». Ils sont teintés de fantaisie chez Mohamed Kacimi qui offre un récit tout de fraîcheur en relatant sa vie d'écolier espiègle à El Hamel, près de Bou Saâda. On découvre avec Badr Eddine Mili et Nourredine Saâdi l'atmosphère survoltée de Constantine. Le premier est emporté par « un fleuve libéré de ses écluses » et le second était en route vers Alger et son premier amour d'adolescence. A bord d'un camion, il traverse des villages « qui défilaient avec leurs foules sans cesse grossissantes, ivres de joie, chantant, dansant, s'époumonant de slogans repris par des animateurs de circonstance ». Dans les milieux de l'émigration (Habib Tengour, Denise Brahimi), dans les rues d'Alger et de sa périphérie (Arezki Metref, Alice Cherki...), un peuple s'enivre du goût d'une liberté retrouvée et arrachée. Les auteurs décrivent l'exubérance des gens, la prise de possession extatique des lieux et espaces publics. Ils font revivre à travers leurs souvenirs, des personnages attachants et cette fête « d'émerveillement partagé, accru par le sentiment que peut-être on ne connaîtra plus jamais cela » (Denise Brahimi). Au-delà de la joie, pointent la désillusion chez Rachid Mokhtari et la colère chez Boualem Sansal. Celle qui suit chez le premier un conte merveilleux mais bref, et évanescent d'une naissance, et chez le second la bifurcation vers la dictature. Une dépossession qui se prolonge dans toute son œuvre chargée de désillusion. L'événement est certes le même et les situations quasi identiques. On retrouve partout les djounoud auréolés de gloire de retour, le poids des absents, des enfants joyeux et des adultes moins crispés et le drapeau qui avait encore toute sa valeur. Chaque récit apporte pourtant une part d'inédit, d'inattendu qui font que ces émotions tissent l'histoire collective. Elle devient soudain humaine et se déleste du lourd poids de l'instrumentalisation. n Hammoudi R. « Ce jour-là, 5 Juillet 1962 » Chihab Editions 205 pages