Etait-ce il y a mille ans ou seulement hier ? Le 5 juillet 1962 : une date-symbole, un �v�nement fondateur. Le Vertige vert blanc rouge qu��voque Ma�ssa Bey est sans nul doute le genre de sensation qui vous prend au c�ur et reste imprim� dans votre m�moire. Cinquante ans apr�s, des �crivains se souviennent de cette journ�e particuli�re. Elle les a marqu�s parce qu�ils l�ont v�cue. La fresque collective qu�ils ont r�alis�e sur la f�te de l�ind�pendance, ils l�ont donc v�tue des couleurs de l�arc-en-ciel et m�me bariol�e par endroits. Une �uvre plurielle, �clat�e, aux couleurs vives que les Editions Chihab ont publi�e � l�occasion du cinquantenaire et dont le titre � Ce jour-l��semble tout indiqu� pour d�signer un tableau de ma�tre. Nourredine Sa�di, qui a coordonn� le recueil, a r�uni en tout dix-sept textes pour autant d�auteurs. Qu�ils aient v�cu l��v�nement ou qu�ils fassent partie des g�n�rations plus jeunes, les lectrices et lecteurs auront du plaisir � d�couvrir les belles pages de litt�rature contenues dans l�ouvrage. Une satisfaction esth�tique, intellectuelle et morale que savent si bien transmettre les �crivains de talent, eux qui ont la capacit� d'insuffler cette �motion litt�raire qui donne vie � n�importe quel r�cit. En plus, il y a la nettet� et la pr�cision, comme si leurs souvenirs �taient plong�s dans un bain de lumi�re. Plus que des instantan�s ou des photos-souvenirs, encore moins les r�miniscences d�un pass� lointain, ces �crits ont valeur de t�moignages vivants, avec la charge cr�ative qui distingue la vraie photographie d�art. �Des histoires m�morielles, personnelles, intimes, qui irriguent, dans la mani�re de leur singularit�, l�Histoire collective�, rel�ve Nourredine Sa�di dans son introduction au recueil. En cette journ�e du 5 juillet 1962, rappelle- t-il d�abord, �pr�cis�ment un jeudi de grande chaleur, le pays f�tait, dans une immense liesse comme il n�en conna�tra plus jamais d�aussi festive ni d�aussi pleinement partag�e, son ind�pendance douloureusement reconquise�. C�est ensuite � chacun des auteurs, class�s selon l�ordre alphab�tique qui sied � ce genre d�ouvrage, de raconter son histoire (v�cue ou invent�e) et d��voquer �librement et litt�rairement ce qu�a repr�sent� pour lui, dans sa vie, ses �motions, son imaginaire, ce 5 Juillet 1962�. Parmi ces �crivains connus : Malek Alloula, Ma�ssa Bey, Denise Brahimi, Alice Cherki, Hel�ne Cixous, Abdelkader Djema�, Mohamed Kacimi, Badr�Eddine Mili, Nourredine Sa�di, Amine Zaoui... Que dire, par exemple, du texte de Ma�sssa Bey si ce n�est qu�il respire la fra�cheur et la vie ? Ah ! Ce � vertige vert blanc rouge� qui rajeunit les m�moires les plus fatigu�es. Nous avons l� les impressions de Ma�ssa Bey enfant, il y a cinquante ans. Un r�cit d�licieux d�imagination po�tique, de fra�cheur, d�id�es et d�images, que le style et l�expression rendent encore plus �clatant. �Je me souviens de ce jour d�bordant de lumi�re et de ciel bleu (...). Je me souviens de cette exquise sensation de l�g�ret�, au r�veil. Ce n�est que bien plus tard que j�ai compris pourquoi : l��tau de la peur venait de se desserrer. A tout jamais�, �crit-elle. Et puis, il y avait �l'immense clameur de la foule � Sidi Fredj, ce lieu embl�matique qui devait voir se sceller une page de notre histoire�. Comment ne pas se souvenir aussi �de l�odeur de la mer m�l�e au soleil et au vent de la libert� ? La m�moire, les ondulations de la mer... Pour H�l�ne Cixous, c��tait �un jeudi unique, absolu, d�cisif, un jeudi avec jardin d�Alger au cours duquel j�ai d� traverser la mort et reprendre la vie�. Certes, la native d�Oran �tait en France, en juillet 1962 (�En France par d�faut. Par d�faut de pays � �nous�), mais �l�Alg�rie d�livr�e, donc moi aussi�, elle peut alors �croire toute une journ�e que le monde va devenir meilleur et m�me bon�. Parce que, ce jour-l�, �si longuement attendu, son jour si court, comme la vie, le peuple est tournoy� par un seul vertige extratemporel�. A Oran, �cette journ�e (...) avait malheureusement vir� au tragique�, se souvient Abdelkader Djema�. Il n�avait pas encore quatorze ans, et ce �5 juillet 1962 un peu avant midi� (le titre de la nouvelle), il s��tait rendu avec son p�re dans les beaux quartiers du centre-ville, cet autre monde o� il allait �tre t�moin de sc�nes d�une extr�me violence. Quant � Badr�Eddine Mili (dont le texte donne son titre au recueil), il raconte avoir pris ce jour � bras-le-corps, � Constantine, sa ville natale : �Et quel bonheur plus que parfait fut, alors, pour moi, de me fondre, corps et �me dans une foule, en fusion, attendant, au matin de ce 5 juillet, dans la position d�un nouveau-n� sur le point de vagir, que sonne le tocsin, l�heure des noces du peuple avec l�Histoire.� Eh, oui ! �On n�oublie pas, on vit et on se raconte des histoires � soi-m�me�, nous rappelle Amine Zaoui dans l�exub�rant r�cit m�taphorique qui cl�t le recueil. Ce texte d�une grande beaut� litt�raire transporte le lecteur �aux fronti�res de l�infini et du vertige�, le narrateur ayant cet avantage de nager dans l�histoire comme un poisson dans l�eau. �Et dans mes bras, l�ange dort. Et l�Histoire se r�veille�, peut-il dire, lui qui a la magie et le pouvoir des mots. Il reste que l�une des plus belles images de ce 5 juillet 1962, c�est toutes ces mains brandissant un drapeau. Pour Denise Brahimi, cela �voque le c�l�bre tableau de Delacroix, Libert� guidant le peuple. Pr�cis�ment, cette libert� que l�on voit se se dresser sur les barricades, un drapeau � la main, �par chance, elle a le droit de montrer ses seins, parce qu�elle est une all�gorie, mais sous les seins de la belle personne qui brandit le drapeau, il y a un c�ur qui bat !� Et avec ce c�ur, il y a le d�sir. �Et ce d�sir r�siste... obstin�ment � depuis, malgr� �tant d�espoirs d��us, de talents g�ch�s, de sacrifices inutiles, de vies pulv�ris�es�, fait remarquer Ali Cherki. Hocine Tamou Sous la coordination de Nourredine Sa�di, Ce jour-l�, Chihab Editions, Alger 2012, 208 pages, 650 DA