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Un doudou ou une drogue ?
Impact social de l'usage du mobile
Publié dans Horizons le 07 - 09 - 2015

L'impact social des nouvelles technologies continue d'occuper le champ de recherche des écoles de pensée en sciences sociales, notamment pour les chercheurs en sciences de la communication, divisés entre ceux qui y voient la panacée, l'outil de promotion de l'individu, et ceux, critiques, plus intéressés par les répercussions négatives de l'outil technologique sur le comportement social de l'individu. La généralisation de l'usage du téléphone portable est une donnée en constante évolution. Selon des statistiques publiées par le site d'information français www.huffingtonpost.fr, au commencement de l'année en cours, « 336 millions de smartphones ont été vendus dans le monde, soit une hausse de plus de 19% comparativement à 2014. Le top 5 mondial des ventes est dominé par les marques Samsung (numéro 1 avec plus de 80 millions d'unités), Apple (plus de 60 millions d'unités), et des marques un peu moins populaires comme Lenovo (près de 19 millions d'unités), Huawei (un peu plus de 18 millions d'unités) et LG Electronics (un peu plus de 15 millions d'unités). » Le journaliste de ce site note également que l'usage des « 20 applications les plus utilisées dépassent les 4,5 millions d'usagers uniques. Le téléphone mobile sera bientôt le premier média digital. »
Abondant sur le même thème, le site français www.economiematin.fr constante que pour « sociétés ‘'urbaines‘', la possession d'un téléphone portable est devenue ce rite essentiel pour une grande partie de la population. A l'école, en famille, en loisirs, un adolescent n'existe plus sans téléphone portable. Cet instrument est devenu à la fois une condition essentielle d'accès à la vie sociale, une prothèse de vie, une addiction dont on connaît encore mal les conséquences. »
Cette situation a engendré un nombre foisonnant d'études sur les conséquences sociopsychologiques de ces usages sur l'individu et sur son environnement socio familial. « Une étude du Pew Forum sur les usages du téléphone montre comment ce dernier modifie en profondeur les comportements en société. Parler très fort en public, son portable vissé sur l'oreille, jeter un coup d'œil à son profil Facebook en réunion ou en famille... », rapporte le site d'information français, www.atlantico.fr dans un long papier consacré au phénomène. Selon le constat de l'étude, sur le territoire des « Etats-Unis, 92% des personnes ont un portable, et 90% d'entre elles déclarent avoir leur téléphone sous la main. De plus, près de la moitié d'entre eux gardent leur portable allumé constamment ».
Conséquences sociales
De nombreux experts ont été mis à contribution pour répondre à cette problématique. Le site a ainsi interrogé l'expert français, Michaël Stora, cinéaste reconverti en psychologue, psychanalyste, lequel rappelle qu'il a déjà eu à expliquer dans une de ses contributions publiées par le quotidien Le Monde « que le portable faisait office de "doudou sans fil". Le doudou ayant une fonction très importante, pallier l'absence maternelle. Derrière le phénomène, on peut se demander si un nombre croissant d'individus ont toujours la capacité à rester seuls, seuls avec leurs pensées. Il s'agit alors d'avoir toujours une occupation pour éviter de penser. »
C'est la référence au « doudou » qu'emprunte aussi Laurent Karila, « psychiatre addictologue » français auteure d'une contribution sur le site d'information français huffingtonpost.fr, sous le titre : « Oui il existe une addiction au smartphone mais il est possible de décrocher ». D'après elle, le « smartphone est un cordon ombilical psychosocial, une e-xtension du i-Soi. C'est aussi un e-doudou à composante tactile. Il a une fonction anxiolytique, hypnotique et est une véritable interface relatio-générationnelle. » En plus de cette dimension psychoaffective, il remplit également d'autres fonctions, avance-t-elle, comme « un appareil photo, une usine à selfie, à porn food, à tout et n'importe quoi, une caméra vidéo, un support pour des jeux vidéos en ligne ou non (Candy Crush, Criminal Case, Boom Beach, Minecraft...), un support pour des milliers d'applications connectées à Internet, un support pour les réseaux sociaux... »
En assurant les fonctions de communication instantanée, ce « doudou » offre à son utilisateur, selon Laurent Karila, la capacité « de se rassurer et de tout vérifier à la seconde. Il facilite le maintien d'une proximité symbolique en réponse immédiate à toute sollicitation. Qui n'aime pas ça ? ».
Sociologue français reconnu pour ses travaux sur les usages des médias numériques, Francis Jauréguiberry va un peu plus loin dans un papier intitulé « Le cocconing téléphonique », paru dans « La vie privée à l'heure des médias » (Eds Patrick Baudry, Claude Sorbets et André Vitalis), Presses Universitaires de Bordeaux, 2002, pp. 91-103. Travaillant sur la question de savoir « Comment notre addiction aux smartphones est en train de bouleverser nos comportements sociaux », il constate que l'usage du téléphone apporte beaucoup à l'individu dans sa relation avec son environnement socio familial : « Pouvoir entrer immédiatement en contact avec ses interlocuteurs professionnels, sa famille ou ses amis, contribue sans doute à évacuer une part de stress lié à l'attente ou à l'indétermination. Quel possesseur d'un mobile n'a pas connu le soulagement de pouvoir prévenir la personne qui l'attend d'un contrordre ? Et, réciproquement, quel branché n'a pas éprouvé la satisfaction d'être averti à temps d'un retard dû à un aléa de dernière minute subit par la personne avec laquelle il a un rendez-vous ? Il en va de même pour les dirigeants ou responsables anxieux du bon fonctionnement de leur entreprise ou organisation. Savoir qu'ils seront immédiatement mis au courant « en cas de pépin ou qu'ils peuvent, inversement mais non moins immédiatement, joindre leurs collaborateurs ou collègues les rassurent. » Sur la base de ces constations, il en arrive à la conclusion que « le mobile n'est pas producteur, mais soldeur de stress. »
Interrogé sur l'impact réel du téléphone mobile sur le comportement social de l'individu, Stora est quant à lui plus nuancé estimant que la réponse « dépend de ce qu'on fait avec son portable et avec qui. »
Il voit en effet que l'utilisation du téléphone portable peut s'analyser à l'aune de « deux grandes familles d'usages : l'utilisation utile ou inutile, et si on va plus loin dans la précision, dans des contextes public et privé. » D'après il est possible de déceler « des utilisations utiles du smartphone dans des contextes privés, ou inutiles dans un contexte public, comme par exemple le monde du travail, quand on voit des adultes jouer à CandyCrush dans une réunion. »
Il assimile ainsi le recours au téléphone en réunion ou en groupe à une « stratégie d'évitement ». Il cite comme exemple, « une réunion passablement ennuyeuse, les gens ont toujours eu des manières de s'évader : dessiner, être perdu dans ses pensées, compter ses poils...Dans certaines entreprises, aux réunions, les gens jouaient à la pêche, grâce à une application qui leur permettait de lancer leur ligne avec leur téléphone sous la table. »
Pris sous cet angle, on peut considérer que par cet usage, l'individu a « toujours sous la main un perturbateur, toujours à portée de main, de notre capacité à nous concentrer et à être seuls. » Mais, pour lui, le fait de sortir son téléphone portable au milieu d'une réunion ou d'un dîner familial signifie également « qu'il y a un élément négatif, cela n'est pas la cause du malaise. »
D'après les indications récoltées par l'étude de Pew research center, ce « think tank » américain spécialisé dans la fourniture de statistiques sociales, « une majeure partie des personnes interrogées considèrent comme étant acceptable d'utiliser son portable dans des lieux publics », note le site atlantico.fr qui précise néanmoins, que « la sphère privée, comme les repas de famille, un dîner au restaurant, sont encore préservés. » L'auteur de l'article se demande si ce comportement encore respectueux du cadre socio-familial le restera pour longtemps ou s'il ne s'agit pas d'un « verrou appelé lui aussi à sauter ».
Pour illustrer cette tendance, l'étude souligne que l‘usage du téléphone en public « est plus gênant pour les plus de 49 ans que pour les 18-30 ans, la fameuse génération Y qui n'a pas ce genre de problème car elle est pour ainsi dire née avec un portable dans la main. » Et même sur ce pan, il y a des nuances à introduire selon le contexte socioculturel, comme le souligne Stora qui considère en effet que cette « question de la gêne est au fond très française. Les Américains ont un rapport à l'autre très différent, ils sont en quelque sorte plus exhibitionnistes. Nous, les Français, sommes beaucoup plus voyeurs, plus dans la culture du secret, de la pudeur, de la bienséance. »
Dans les conclusions de l'étude de Pew Research, les profils du sexe et de l'âge sont également des déterminants importants pris en compte, puisque l'on note en effet « des disparités dans les comportements : les femmes sont plus nombreuses que les hommes (41% contre 32%) à être agacées par l'usage du téléphone en société, les jeunes de 18 à 29 sont plus tolérants vis à vis de son usage. »
Dépassant la question de répercussions sociofamiliales, d'autres chercheurs ont abordé la problématique de l'impact du téléphone portable sur la santé mentale et psychique de l'usager. L'accent est surtout mis sur le mode et la fréquence d'utilisation poussant ainsi Laurent Karila à parler d'un « over-usage du smartphone devenu un outil plus que populaire de 7 à 77 ans. On le sort dans la queue du supermarché, en réunion quand on s'ennuie, pendant un cours, au feu rouge en voiture (même si c'est interdit maintenant), en regardant la TV, en parlant avec d'autres. On s'endort avec, on se réveille avec. Il accompagne les insomnies. » Adopté dans de telles conditions, le téléphone portable peut en effet produire de la dépendance, voire une angoisse, communément appelée nanophobie ou AED (Angoisse d'Etre Déconnecté).
« La nomophobie est une phobie liée à la peur excessive d'être séparé de son téléphone mobile », nous apprend l'encyclopédie en logne Wikipedia qui ajoute que ce terme « a été inventé au cours d'une étude menée en février 2008 par la UK Post Office qui accrédita YouGov, une organisation de recherche basée au Royaume-Uni, pour observer les angoisses subies par les utilisateurs de téléphones mobiles ». Il s'agit d'une notion « valise » issue d'une « contraction de l'expression anglaise no mobile-phone phobia et désigne alors la peur excessive d'être séparé de son téléphone mobile », lit-on sur l'encyclopédie qui se base sur les résultats d'une étude menée en 2008 par la poste britannique selon lesquels, « 53% des utilisateurs de téléphones portables présentaient des symptômes d'anxiété en cas de perte, de mauvaise couverture réseau ou de batterie faible », toujours d'après Wikipédia qui ajoute que d'après une autre en enquête réalisée à Stanford en 2010, sur « 200 utilisateurs d'IPhone, 75% d'entre eux dormaient avec et que 69% d'entre eux préféraient perdre leur valise que leur smartphone ».
Plus récemment encore, l'encyclopédie en ligne a trouvé une autre étude, « publiée en 2015, par Clayton et ses collaborateurs dans le Journal of Computer-Mediated Communication » au cours de laquelle des hypothèses ont été prouvées selon lesquelles, « l'impossibilité d'utiliser son IPhone, lorsqu'il sonnait, sur soi (l'i-Soi), sur les cognitions, sur l'anxiété, et sur des fonctions physiologiques comme la fréquence cardiaque, la tension artérielle, la fréquence respiratoire. »


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