La jeunesse tunisienne, qui ne sait pas de quoi sera fait son «avenir», entame sa troisième semaine de manifestations et de grèves sur fond de cherté de la vie et d'un chômage élevé. S'il est officiellement de 15%, il frôle 60% dans certaines régions. A cette inégalité régionale s'ajoute l'inégalité sociale. Les 10% les plus riches de la population perçoivent le tiers des revenus, les 30% les plus pauvres moins de 10% du PIB. Tout a commencé le 17 décembre, après l'immolation par le feu à Sidi Bouzid (centre-ouest) de Mohamed Bouazizi, un jeune diplômé de 26 ans, réduit à vendre des légumes et à qui la police a confisqué son unique moyen de survie. Grièvement brûlé, il est décédé le 4 janvier dernier. Cet acte de désespoir a servi de détonateur à une protesta qui va crescendo et de «modèle» à suivre. Le 22 décembre, un diplômé sans emploi s'est donné la mort en s'accrochant à une ligne électrique à haute tension pour protester contre «la misère et le chômage». Quelques jours après, c'est un père de quatre enfants, dont deux universitaires au chômage, qui s'est pendu à un arbre. «Ce geste reflète l'angoisse profonde des jeunes qui sont confrontés à une situation économique qu'ils ne comprennent pas et qui leur donne le sentiment de n'avoir aucune prise sur leur avenir», explique Pierre Vermeren, professeur à la Sorbonne, à Paris, et spécialiste du Maghreb. Le suicide, forme d'expression d'une jeunesse gagnée par l'angoisse ? Une certitude. La Tunisie qui serait à un tournant connaît quelque chose d'inédit dans son histoire. Même la jeunesse de la capitale et des stations balnéaires n'est pas épargnée par cette colère. A Bouziane, dans le centre-sud du pays, deux civils ont été abattus par des policiers qui ont plaidé la «légitime défense». Jeudi, 95% des 8000 avocats tunisiens se sont mis en grève pour protester contre «le passage à tabac d'avocats au cours des derniers jours» par la police pour reprendre l'expression de Me Abderrazek Kilani, le bâtonnier de l'ordre des avocats tunisiens. Le président Ben Ali qui a limogé son ministre de la Communication et trois gouverneurs, débloque 3,5 milliards d'euros pour favoriser…l'emploi des diplômés. Comme si il n'y a que ces derniers qui manifestent. Selon les médias, y compris tunisiens, une partie de la classe moyenne, celle là même qui est présentée depuis au moins deux décennies comme la cheville ouvrière du pays, est dans la rue. Les fonctionnaires, les médecins, les pharmaciens, les grands bénéficiaires de la croissance tunisienne (4 à 5%) ont fini par être rattrapés par la crise financière…de l'Union européenne dont le pays dépend pour sa croissance. En 2009, la croissance a réduit ses ambitions de moitié, les exportations industrielles ont fortement reculé et les touristes européens sont restés chez eux, les investisseurs étrangers également. Résultat, l'emploi a souffert : la croissance n'absorbe plus que la moitié d'une classe d'âge, contre près des deux tiers avant la crise. Ben Ali qui ne semble pas réaliser aussi que le pays qu'il dirige est passé en peu de temps de 12.000 à 350.000 étudiants dont 60% des filles, accuse les médias étrangers et l'opposition d'être derrière cette révolte qui a envahi la rue et la Toile. Anonymous, le groupe qui s'est forgé une réputation pour son combat en faveur de la liberté d'expression sur internet à travers le monde et pour son soutien affiché à WikiLeaks, a lancé des cyberattaques contre le gouvernement tunisien dont le chef, Mohamed Ghanouchi, a reçu hier après-midi une délégation de l'UGTT conduite par Abdesselam Jrad, son secrétaire général. Pour échanger comme il l'a fait mercredi avec le patronat sur les «derniers événements douloureux», les «réformes politiques», «l'approfondissement de la démocratie» et la «consolidation des libertés».