Photo : Slimene S.A. Le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, M. Daho Ould Kabila, a accordé une interview à l'APS sur les émeutes survenues dans des villes et localités du pays. Voici l'interview intégrale : Monsieur le ministre, après trois jours de manifestations à travers une vingtaine de wilayas, estimez-vous que la situation est désormais maîtrisée? Au préalable, il me semble nécessaire de rappeler qu'il ne s'agit point de manifestations auxquelles nous sommes habitués mais d'émeutes rassemblant un nombre plus ou moins important de jeunes qui, il faut le rappeler, avec insistance ne constituent qu'une frange de la jeunesse, qui brûlent des pneus, pillent des biens privés, dégradent et saccagent des biens publics, et agressent les services de sécurité par des jets de pierres, des cocktails Molotov et d'autres objets contendants. A l'heure actuelle, la situation est contenue et les services de sécurité font tout avec intelligence et fermeté pour éviter les dérapages et les chocs violents avec les émeutiers, comme illustré par les chiffres que je donnerai par la suite. Quel est le bilan des manifestations qui ont secoué une vingtaine de wilayas du pays, à des degrés divers ? Votre question est liée à celle précédemment posée. Je viens de rappeler l'esprit d'intelligence, de patience mais de fermeté dont ont su faire preuve les services de sécurité qui ont enregistré 736 blessés dans leur rang, 53 blessés l'ont été parmi les manifestants. Je vous laisse analyser ces deux chiffres et en tirer les conclusions. Je confirme le décès de trois jeunes : à M'sila, Tipasa et Boumerdès. Dans les deux premières wilayas, les personnes décédées ont été retrouvées sans vie lors des émeutes, des enquêtes sont en cours pour en déterminer les causes. Quant à celle de Tidjelabine (Boumerdès), la victime a été retrouvée calcinée dans un hôtel incendié par les émeutiers. En ce qui concerne donc le nombre des blessés et des décès, toute autre information colportée par des organes de presse qu'ils soient étrangers ou algériens est fausse et alarmiste à laquelle il convient de ne donner aucun crédit. Les services de sécurité ont été instruits de faire face à la menace en évitant tous dépassements si bien qu'ils ont payé et continuent de payer le prix fort en blessés. Malgré le caractère criminel des actes commis par ces jeunes, malgré la situation dangereuse vécue, les services de sécurité garants de la protection des personnes et des biens, assument leur responsabilité d'une manière stoïque. Ces manifestations violentes ont surpris par leur survenue et, leur extension rapide dans différents quartiers des grandes villes et d'autres wilayas. Avez-vous vu venir ces violences ? Considérez-vous que les motifs invoqués par les manifestants (mots d'ordre utilisés comme la cherté des produits de première nécessité) justifient cette irruption de la violence ? Ou croyez-vous qu'il y ait eu manipulation et quelle en serait alors l'origine ? On ne peut nier, à l'évidence, qu'on avait connaissance depuis peu de temps que le renchérissement des prix, souvent inexpliqué et artificiel, avait produit un impact négatif et suscité, par conséquent, une inquiétude au sein de toutes les couches pas seulement celles défavorisées constituant notre société. Cette hausse brusque et brutale des produits a coïncidé avec l'augmentation récente des salaires avec un effet rétroactif depuis 2008 décidée par les pouvoirs publics. C'est vrai également que nous enregistrons ici et là des contestations lors de relogement de plusieurs centaines de familles, de distribution de locaux réalisés par les communes au profit des jeunes, de routes, de désenclavements, et éclairage public qui vient d'être, hélas, gravement et totalement détruit dans certains quartiers. Le déplacement sur les lieux des responsables locaux (wali, chef de daïra et P/APC) et le dialogue avec des représentants de mécontents et les décisions prises par eux faisaient vite leur effet et tout rentrait dans l'ordre. Or, ce qui s'est produit jeudi écoulé est de l'avis général sans relation avec ces aspects socio-économiques et je dirais, sans commune mesure, avec une démarche calme et réfléchie, seule voie pour exposer les problèmes. De nombreux chroniqueurs et observateurs, évoquent parmi les causes de ces violences, le mal vivre des jeunes, leur perception propre de l'injustice, de l'absence de perspectives et autres arguments du même genre. Partagez-vous ces approches et quelles solutions préconisez-vous pour la prise en charge de ces revendications ? La frange de jeunes dont nous connaissons, par ailleurs, la situation difficile, s'est mise en position de fracture totale par rapport au reste de la société. Leurs agissements criminels faits de violence, de destructions et de vols n'ont épargné ni les biens publics ni privés. Ils s'en ont pris aux intérêts de citoyens de condition modeste dont les magasins ont été pillés et les voitures incendiées. Ces jeunes n'ont obéi qu'à des instincts revanchards car ne mesurant pas toutes les conséquences de leurs actes. L'occasion a été saisie à Alger d'abord, l'imitation, le mimétisme et la contagion ont fait le reste. Ce phénomène vient d'ailleurs d'être vécu dans plusieurs pays qui n'ont pas hésité à utiliser la manière forte. Les mesures sans précédent, prises par le gouvernement sous l'égide de M. le président de la République depuis une décennie pour l'amélioration des conditions de vie des citoyens en matière d'emploi, de revenus, de logement, d'enseignement sont incontestables. D'autres mesures s'y ajouteront dans les prochains mois et les prochaines années qui verront la réduction du chômage, la réalisation de millions de logements et l'amélioration du cadre de vie. Les problèmes urgents seront solutionnés en priorité dans le cadre de la concertation la plus large y compris avec tous les jeunes qui sont, j'insiste sur le terme, nos enfants. Le peuple en est conscient et fait preuve dans la majorité des cas de patience et de confiance. Au plan politique, ne pensez-vous pas que l'absence de réactions fortes de la classe politique, des élites de la société civile et des dirigeants de premier plan, ainsi que les hésitations des médias publics, ont manqué pour apaiser les craintes et rassurer l'opinion ? Le rôle du ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales, dans ce contexte particulier, est de maintenir l'ordre et préserver la sécurité des citoyens, leur intégrité et la circulation des personnes et des biens. Ce sont les forces de sécurité, les cadres de l'administration centrale et locale qui font face à ces excès. Nous enregistrons avec satisfaction que la population n'encourage pas les émeutiers et que, depuis vendredi des citoyens s'en prennent directement à eux pour protéger leurs biens. Ces douloureux événements interpellent toute la société algérienne dans ses différentes composantes, partis politiques, syndicats, associations, comités de quartier et de village, qui doivent agir sur le terrain. Il faudrait souligner, particulièrement, les parents ont une lourde responsabilité, car les émeutiers sont, dans leur grande majorité, des enfants mineurs. On nous reproche déjà la retenue de nos services de sécurité, leur sens des responsabilités et le fait de ne pas avoir utilisé leurs armes, même en se défendant. Ces émeutiers ne constituent que la partie la plus radicale de la jeunesse qui, malgré tout, est notre jeunesse. Il s'agit en fin de compte de leur expliquer que la voie qu'ils ont choisie ne les mènera pas loin car, quoi qu'il arrive, force restera à la loi et la loi est faite pour protéger tous les Algériens par le respect de leurs biens, de leur liberté et de leur dignité.