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« Tahya...Didou »
Ramdane Bouteria, jaloux de son quartier, amoureux de son Alger
Publié dans Horizons le 25 - 11 - 2015

C'est un vieux jeune qui veille depuis des années sur son immeuble comme sur la prunelle de ses yeux. Du haut de ses 86 printemps, qu'il assume chaque jour avec bonheur et délectation, il ne lésine devant aucun effort pour balayer, nettoyer, astiquer, décorer et rappeler ses concitoyens à l'ordre : « Ne jetez pas vous ordures, merci, Didou », écrit-il sur les murs de la cage d'escalier, au 23, rue Abderrahmane Arbadji (ex-rue Marengo). C'est aussi en signe de bienvenue, comme il l'annonce dès qu'on franchit le seuil de la porte cochère de cet immeuble d'architecture coloniale, comme Alger en est habillé dans divers quartiers, de son centre à ses hauteurs. Et même si cet édifice part en lambeaux, Didou, de son vrai nom Ramdane Boutria, lui offre une deuxième vie. Une renaissance qu'il a entamée en 2008, une date référence inscrite en lettres d'or, - c'est de l'or, précise-t-il - tout en haut sur le mur d'entrée de son petit appartement avec cette signature en céramique de son prénom. Plutôt un sobriquet qui lui a été donné par son ami le chanteur de chaâbi Dahmane El Harrachi, dont la photo trône dans le hall d'entrée, à côté d'autres chantres de la musique populaire dont Didou est fan.
L'art et la révolution pour mémoire
En cet endroit qui accueille le visiteur, les deux murs sont tapissés du même papier imprimé, bariolé et chantant. Sur un côté, c'est une véritable fresque historique qui recouvre ce papier. En témoignent ces portraits de martyrs de la Guerre de libération nationale qui ont donné leur vie au pays, très jeunes. Femmes et hommes de cette Algérie que Didou porte en son cœur, non sans cette fierté exhibée à tout bout de champ, sans risque de lasser, à force de se répéter, pas de radoter, ce n'est, voyons, pas de son âge, du moins dans cette circonstance qui lui est offerte pour dire son amour de l'Algérie. Il y a ces noms de chouhada qu'il rappelle à la mémoire du voisinage, des passants et des visiteurs. Ces derniers, alors inconditionnellement, marquent une halte dans la grande histoire du pays pour revoir les visages de celles et ceux qui portent en eux, marquée sur leur front, cette détermination de lutter, de combattre le joug colonial. Ourida Meddad, Malika Gaïd, Larbi Ben M'Hidi, Hassiba Ben Bouali, Ahmed Zabana, Colonel Lotfi, Ouamrane, Abderrahmane Arbadji, dont la rue porte justement le nom, pour mémoire, dans un hommage ultime et gravé sur ce pan du mur...
De l'autre côté, la fibre artistique nationale fait parler les goûts de Didou. On peut y admirer les chyoukh du chaâbi, M‘rizek, El Ankis, El Achab, El Anka, Guerrouabi, Dahmane El Harrachi, Ezzahi, Cheïkha Tetma, et même Rimiti qui salue de ses mains enduites de henné. A ce patrimoine musical, s'ajoute celui artistique de tout bord, entre architecture, costumes et images de La Casbah. El Bahdja se laisse regarder dans toute sa splendeur, d'antan mais encore de nos jours. Des femmes sur leurs terrasses rappellent Delacroix, avec ses femmes d'Alger dans leurs appartements. Un pan de la vieille médina, la pêcherie, les mosquées d'El Aâsima, jusqu'aux ruelles du vieil Alger... Toute une liste de lieux, de personnages, d'images d'antan qui restent, par la photographie, incrustés dans l'esprit et le cœur de l'octogénaire, et tous les jours que Dieu fait, complète sa collection. Une œuvre de longue haleine pour celui qui sait situer les époques, les années, les lieux, les visages...
Une générosité dont Didou fait preuve en répétant inlassablement : il faut être bon dans la vie. C'est sa philosophie, à lui, de la vie. Telle qu'il l'a conçoit, qu'il l'a toujours conçue et qu'il l'appréhende. Avec son prochain.
Chasse aux ordures
Aussi, Didou est-il armé, suffisamment, en tout cas, pour contrer les récalcitrants à cette fameuse idée qui le taraudait depuis longtemps avant de passer à l'acte : garder la cité propre, cages d'escalier, quartiers, chaussées, trottoirs... Il lui en a fallu alors à ce bon vieux Didou, des discours, des sensibilisations, des interjections, des rappels à l'ordre, jusqu'aux menaces, avant de ramener tout le monde à bord d'un Alger petit format, blanche, propre du moins, un tant soit peu.
Une volonté à toute épreuve, Didou sait comment prendre son prochain qui n'est pas toujours malléable. Alors, pour garder un œil vigilant sur son entourage, l'environnement pour lequel il se bat, journellement, l'octogénaire tout sourire dehors, se fait aider par les bambins du quartier. Il les instruit de « vendre » toutes les mains qui déposent les ordures à l'entrée de l'immeuble et ce même s'il respecte les horaires du passage du camion à ordures qui fait, d'ailleurs, dans ce quartier populaire plusieurs rotations de nuit pour venir à bouts des déchets ménagers et du marché de Djamâa Lihoud qui s'amassent sur trottoirs et autour des points de vente. Les enfants en mission pour Didou font le guet et rapportent au vieux tout ce dont ils ont été témoins. Et à Didou d'agir ensuite. Il en a été ainsi pendant des jours entiers avant de mettre la main sur le coupable. Ce dernier récalcitrant va s'entêter auprès de Didou en lui rétorquant que l'immeuble ne lui appartient pas et qu'il continuera d'agir tel qu'il l'entend.
Il n'en faut pas plus au prochain épisode pour Didou qui envoie le voisin sur les fleurs avec un direct bien envoyé, témoigne-t-on dans le voisinage. C'est que Didou a fait ses classes sur les rings, la boxe, ça le connaît ! Une leçon qui a servi et pour ce malheureux et pour le reste des gens du quartier. Une anecdote qui a vite fait le tour de cette rue commerçante comme une traînée de poudre. Depuis, malheur à celui qui lui prend l'envie de jeter son sac d'ordures à proximité du 23, rue Abderrahmane Arbadji. Didou y veille !
Nostalgie, passé et rêve
Il parle d'Alger et la vieille médina lui manque. Un brin de nostalgie et tout est prétexte pour en parler, se rappeler, se retourner vers le passé en s'épanchant sur une épaule qui se prête à l'accolade. Parce qu'il n'est pas rare de voir l'œil gris bleu, comme la mer, qu'il aime par-dessus tout, s'humecter par le souvenir. Il raconte le haïk M'rama que sa première épouse a porté de tout temps, l'odeur du jasmin, Bab Jdid, la rue n'Fissa où ses parents ont habité par la suite, l'ambiance familiale avec ses deux sœurs et son frère... « C'est cela Alger et ses senteurs. Pas l'anarchie, la saleté, la violence, les agressions d'aujourd'hui, c'est regrettable », clame-t-il avec colère. Lui, l'enfant de Bab Jdid, qui ne manque pas de parler de ses origines de Draâ El Mizan, en Kabyle Algérois né. De mémoire, il se rappelle dans le détail son enfance, ses premiers pas à l'école, la perte de sa mère, orphelin tout juste à 8 ans, ses premiers pas dans la vie, cette autre école qui lui a ouvert les yeux sur le comportement des colons vis-à-vis des autochtones.
Lui, pour prêter aide à son père, qui avait une « table » (un présentoir) au marché, l'accompagnait après une sortie prématurée des bancs de l'école. Il vendait des légumes, des fruits, et souvent faisait le porteur. « Porter madame, porter monsieur », se remémore-t-il dans le jargon populaire. « Il fallait bien m'occuper à quelque chose et servir à la maison. Alors enfant, je ne pouvais qu'obéir à mon père qui trimait pour rassembler le peu de pécule afin de nourrir la famille. Mais plus tard, j'ai eu cette envie de partir vers d'autres horizons. M'engager en tant que bahri, marin. Mon père s'y est formellement opposé et m'a interdit de m'en aller. Je n'avais que 16 ans. Alors, j'ai fait tous les métiers, pas seulement porteur, j'ai également été cireur. Je me retrouvais souvent à Bab El Oued, à Kantira, où je vaquais à mes occupations pour glaner quelques sous, il fallait gagner ma vie, d'autant que l'école n'était plus qu'un souvenir », raconte Didou, un rien d'émotion dans ses joues qui rôsissent à cette lointaine évocation. L'œil, dont le bleu s'assombrit se fait larmoyant. Didou revient à son départ pour la France. C'était de 1952 à 1963. Là-bas, c'était la débrouille mais aussi le rapprochement avec la révolution. Il fréquentait, dit-il, les collecteurs de fonds pour le FLN. A son retour en 1963, il se fait cordonnier. Nous sommes en 1965. Puis sur un ton plus ferme comme pour rapporter l'ambiance d'antan, il dit être passé à quelque chose de plus stable. Il verse dans la cordonnerie et est déclaré chez le plus grand cordonnier d'Alger qui répond au nom de Mustapha Ketib, connu dans la région. « J'étais son employé pendant trente bonnes années. » Il sera à ce métier comme jamais. Ce qui lui permet d'ailleurs de prétendre plus tard à une retraite. « Je perçois 20.000 dinars par mois. J'en donne 10.000 à mon épouse et j'en garde 10.000, c'est ce que je faisais avec ma première épouse, défunte,
à laquelle je suis resté fidèle, et que j'ai soignée comme je l'ai su, comme je l'ai pu, elle est décédée en 2005. Je me suis remarié et je suis tout aussi comblé. Je n'ai pas à me plaindre de la vie. Rani fi el fayda, je suis gagnant tout au contraire. Je suis né le 12 mars 1929, dans quelques mois, je bouclerai mes 87 ans. Ce n'est que du bonheur », ponctue-t-il un rire gros comme ça. Non sans cette larme qui coule sans se retenir.
Au service de la propreté
Il revient au pays, a du mal à se détacher de sa vie de bohème. Il accepte enfin de se marier. Il est heureux en ménage même si les enfants, il n'a pu en avoir. Avec sa seconde épouse, il jouit de la présence des enfants de sa femme et de ses petits-enfants. « Dieu est juste et miséricordieux, il m'a fait quand même le don d'être père et même grand-père, même très tardivement. » C'est pour cela qu'il ne faut jamais désespérer de la bonté d'Allah. Lui, alors s'attelle sans discontinuer à sa mission d'entretenir l'environnement avec une part belle à la propreté, la protection et la préservation du patrimoine quartier. Tous les vendredis, Didou, muni d'un seau et d'un frottoir, nettoie à grande eau et aux détergents la cage d'escalier.
Dans le hall, il enjolive le peu d'espace vide qui reste à couvrir d'une image, le vieil Alger. Dans son appartement, il est branché cérémonie de mariage animée par le grand Ezzahi. On le voit danser à l'algéroise. C'était à un des concerts de l'artiste, il avait 81 ans et aussi agile et souple qu'un jeune premier. Et d'esquisser encore les mêmes pas, en direct. Sans forcer. Sur son balcon, l'emblème national flotte tout autour de la balustrade en une longue rangée de fanions frappés de l'étoile et du croissant. Ce n'est pas seulement pour Novembre, dont on vient de fêter le 61e anniversaire du déclenchement de la Révolution, non, lui, Didou, c'est pour la vie.
Il contribue à sa façon, dans son coin, à améliorer l'image du pays, à travers son immeuble, son quartier, dont il est extrêmement jaloux. Il l'exprime ce matin de ce mercredi ensoleillé du 28 octobre, en pointant du doigt un acte de vandalisme que de mauvais garnements ont commis sur une série de pièces en céramique qu'il avait pourtant fixées avec du ciment blanc. « Il faut avoir utilisé un outil pour pouvoir extraire ces décorations. Mais je les replacerai », promet-il, inébranlable, foi de Didou, dans sa mission qu'il s'est engagé à accomplir. Ainsi qu'il le fait au quotidien en visitant et en revisitant, tous les jours que Dieu fait, son œuvre qui gagnerait à faire des émules. Tahya Didou !


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