Cette féconde aventure n'est point un conte ou une légende, mais une histoire véridique qui est celle de Didou et sa Casbah natale dans une «œuvre» de résurrection des valeurs humaines et des splendeurs de la Médina d'Alger, sa bien-aimée dès sa tendre jeunesse. Didou, de son vrai nom Boutria Ramdane, est un enfant de La Casbah d'Alger qui l'a vu naître il y a 82 ans de cela, il y a grandi et appris les rudiments du mode de vie citadin par ses parents, ses voisins et ses aînés qui se sont impliqués solidairement par devoir à l'initiation pratique de son éducation en société. Ce fut sa première école de la vie et la plus déterminante dans l'accomplissement de sa future personnalité. Il se souvient, avec un relent de nostalgie, de la méthode toute «psychopédagogique» de son apprentissage aux règles de civilités de la vie en société. A cette époque, la citadelle, dans sa blancheur proverbiale, était le miroir d'El Djezaïr avec ses terrasses, ses douérates violacées de «nila», embaumées de senteurs de basilic, de menthe et de jasmin. La leçon particulière, ancrée dans la mémoire de Didou à ce jour, a été la notion de la pratique sociale de civisme dictée en premier préambule du précepte de propreté en Islam «Enadhafatou min el imane». Ce modèle d'application de la leçon, Didou l'a assimilé dans les cours de «travaux pratiques» dispensés quotidiennement par les habitants et les commerçants du quartier, qui veillaient en bon pères de famille à la propreté des lieux. Dans cette ambiance de sociabilité, de cohabitation et de civisme, Alger la blanche d'antan était dans toute sa majestueuse beauté, chantée et déclamée par de prestigieux poètes et grands maîtres de la musique citadine. Habituée par l'histoire aux malheurs cycliques et successifs qui l'ont traversé depuis des siècles, le sort a voulu avec acharnement lui réserver cette fois la plus douloureuse des épreuves. Ainsi la légendaire El Mahroussa «La bien gardée», avec ses glorieuses épopées et son environnement édénique, ne s'attendait point au sacrilège d'être un jour maltraitée par ses propres habitants dans la profondeur de l'âme de ses vestiges, chargés d'histoire et de mémoire, maintenant souillés sous des monticules d'ordures et de décombres, méfaits intolérables d'un incivisme démentiel sans précédent. Dans son mouvement de perpétuelle résistance, la revoilà aujourd'hui toujours altière et debout, livrer cette fois-ci un combat aux avanies des temps présents qui ont engendré un «ensauvagement» d'incivisme, jusque-là inconnu par sa population. Comme de tradition, ses enfants ont rejeté l'affront de l'épiphénomène, véritable fléau hideux et dégradant, mais malheureusement rentré dans les mœurs, comme une fatalité ou une malédiction subies dans l'impuissance et la résignation. Ainsi, le défi de sauvegarder la propreté de leur quartier a été relevé par quelques habitants, hélas en nombre réduit, mais tenaces et imprégnés des valeurs morales et culturelles de la société algérienne qui à la seule évocation des mots : insalubrité-saleté, répliquent instinctivement par un adage bien connu de chez nous : ne dit-on pas encore «z'bel ou lawsakh hachak». C'est dans cette pénible conjoncture que Didou, avec la contribution de ses voisins, a entamé une action de civisme de longue haleine des années durant, aidé dans cette tâche ardue par sa défunte épouse, hélas décédée, qui a été la véritable cheville ouvrière inlassable pour la concrétisation d'un sursaut citoyen de propreté et de préservation de l'environnement de la cité, en harmonie aux valeurs de notre société. Les efforts investis, sans relâche, ont ainsi été couronnés de succès, et l'immeuble sise au 23 rue Arbadji Abderahmane au cœur de La Casbah en est devenu la vitrine de reflet de propreté et un exemple de civisme, à la grande satisfaction de ses habitants et la fierté de ceux de toute La Casbah. Eprouvé par la disparition de sa compagne de destin, il ne retrouvera sa raison d'être que dans son souvenir à travers une «œuvre» de décoration esthétique qu'il exécutera de ses propres mains, à la mémoire de celle qui a laissé le souvenir d'une battante intraitable pour la propreté de l'immeuble où elle vivait et de son quartier qu'elle a tant aimé. C'est à son invitation que nous avions eu l'agréable surprise de découvrir un intérieur d'immeuble exceptionnel, dans une propreté impeccable, orné, en signe de bon présage, d'une fresque originale en céramique sur toute l'étendue du hall d'entrée et de la rampe d'escaliers des 4 étages. Aux félicitations que nous lui avons exprimées en cette heureuse circonstance, Didou a tenu à formuler humblement une confidence : celle de son seul et unique souhait et qui lui tient le plus à cœur, écoutons-le : «Au soir de ma vie, mon rêve est de voir les prémices d'un renouveau de cohésion, de cohabitation, de conviviabilité et de savoir-vivre au sein de notre société dans une symbiose de renouement avec les traditions civilisationnelles et culturelles de celle qui fût autrefois El Djazaïr, symbole d'art et de raffinement citadin», déclare Didou. Que ce vœu soit exaucé Incha Allah et que le rêve de Didou redevienne une réalité qu'il vivra dans le bonheur de voir, dans un jour proche, la fin du cauchemar de l'incivisme perfide et honni, et d'où ressurgira El Bahdja dans toute la grâce qui fût jadis la sienne. Dans cette vieille rue célèbre d'histoire et de culture qu'est la rue Arbadji Abderahmane (ex-Marengo), l'œuvre citoyenne de l'immeuble n° 23 se veut être une projection de survivance de valeurs humaines en signe de triomphe incontournable «du bien» : éducation et civisme, qui éradiquera un jour l'incarnation «du mal» : «ensauvagement» et incivisme. Une fois de plus, c'est de l'originelle matrice de culture et de civilisation que fut la plurimillénaire El Mahroussa, la résistante de toujours que le défi à l'incivisme est ainsi relevé afin d'impulser un sursaut citoyen Cela par l'exemple de Didou, pour qu'Alger redevienne Alger La Blanche, au grand bonheur de ses enfants et à la mémoire de tous ceux qui l'ont jadis aimée dans sa superbe beauté légendaire et qui, hélas, ne sont plus de ce monde. L'épiphénomène de l'incivisme qui s'est malheureusement érigé en un véritable fléau rampant, interpelle, de par son ampleur et dans l'urgence, l'ensemble de la société et des institutions concernées pour un traitement approprié, rationnel et efficace à une problématique cruciale, qui constitue une menace pour l'avenir de nos villes.