Rencontré, samedi dernier, en marge du symposium international sur le Qanun, Jamel Abid, docteur en musicologie et professeur à l'Institut de musique à Tunis, évoque avec passion et beaucoup de savoir son instrument fétiche. Il raconte son histoire et son impact dans l'orchestration arabe et turque. Quelles sont les origines du qanun ? Au même titre que l'oûd (luth), on ignore, à ce jour, d'où nous vient cet instrument qui fait partie de la famille des cithares. Peu de choses ont été dites sur ses origines mais on sait, à travers les écrits des chercheurs en musicologie, qu'il est un dérivé d'un instrument bien de chez nous surnommé nouzha. Plus loin dans l'histoire, le philosophe musulman, d'origine perse, Abû Nasr al-Fârâbî, également auteur du célèbre « Traité de musique » a eu l'ingénieuse idée de développer le qanun mais sans aller jusqu'à lui donner corps. De fil en aiguille, en passant par plusieurs expériences, le qanun nous est parvenu donc dans sa forme actuelle. Par ailleurs, il faut savoir que les Grecs ont leur propre outil, le « canon », instrument à monocorde, qui n'est pas sans grande ressemblance avec le nôtre, bien que sa fonction soit différente. A quelle période a-t-il été introduit au Maghreb ? L'avènement du qanun au Maghreb est plus ou moins récente puisque son apparition, en Tunisie par exemple, remonte au début du 20e siècle. On n'en comptait pas une dizaine dans l'orchestration de l'époque. Il aurait fallu attendre les années 40 et 50 et encore, très peu de musiciens en avaient recours. Quels sont les différents répertoires dans lesquels on peut jouer le qanun ? Le qanun est adaptable à pratiquement toutes les musiques, y compris la musique classique occidentale. J'ai participé à sept concerts de musique symphonique à Tunis, comme j'ai composé plusieurs morceaux avec une harmonie moderne. Quels sont les grands noms arabes et musulmans qui ont marqué l'histoire de l'instrument ? Pour ce qui est de la vieille école, je citerai, comme référence première, Mohamed Abdou Salah, qui accompagnait la grande diva arabe, Oum Kalthoum. Il y a aussi Abdelfettah Mensi. Concernant la génération un peu plus jeune, on retrouve Ahmed Fouad Hassan, Sayed Rajab, et, avant eux, al-Akkad. En Turquie, on compte de célèbres musiciens, tel le maître du genre classique, Elolderay, en passant par l'école médiane portée par Khalil Karaduman, Ahmet Matar... jusqu'à ceux qui tiennent aujourd'hui les manettes, Göksel Baktagir... Mais il faut dire que l'école de Karaduman a notablement aidé à l'évolution du jeu du qanun. Connu pour être un instrument de vieux, le qanun attire-t-il les jeunes musiciens ? Il y a un engouement réel, notamment en Tunisie où nombre de jeunes étudiants en font leur instrument de prédilection. En Algérie, la chose est néanmoins différente. La plupart des jeunes musiciens ont appris sur le tas, mais manquent tout de même d'une formation académique. Je trouve inconcevable qu'un jeune musicien soit incapable de lire une partition, alors que nous sommes en 2015. Les raisons ? Principalement pour manque de formateurs au sens propre du terme. Sans parler de l'inexistence d'ateliers de fabrication de cet instrument censé focaliser davantage l'intérêt de tout désireux à son apprentissage. Vous avez pris part à l'animation d'ateliers d'initiation dans le cadre du Festival international de musique andalouse et des musiques anciennes qui a pris fin vendredi soir... J'ai pris un groupe de jeunes débutants pour tenter de les mettre sur la bonne en voie, en essayant de leur inculquer ma propre méthode. Cela me facilite la tâche dans le sens où c'est le même travail que j'exerce depuis trente ans en Tunisie. Avec Internet, le suivi sera désormais plus régulier. Des projets de formation avec l'Institut national supérieur de la musique en Algérie ? Je trouve que le lancement par l'institut d'une formation au qanun, deux fois par an, est déjà une bonne chose.