Dans son roman de haute texture « Ezilzel », le défunt Tahar Ouettar dressait un constat d'une sévérité extrême sur Constantine dont il s'alarmait, déjà, de la décadence progressive. L'apprêté du réquisitoire de l'auteur de l'As et les admonestations acerbes observées n'étant rien d'autre qu'une réaction légitime d'un grand écrivain devant le « déclin » écornant une cité qui avait porté, très haut, la civilisation algérienne. En effet, rare sont, à l'image de la ville de Benbadis, les grandes villes de chez nous à pouvoir, tantôt se targuer, tantôt s'attrister de l'intérêt qu'elles représentaient aux yeux de leurs visiteurs, écrivains furent-ils ou non. L'on ne compte plus d'ailleurs, le nombre d'ouvrages, tous genres confondus, écrits à son sujet. A travers une tentative de restituer la place de la ville dans les œuvres littéraires, et plus particulièrement dans le genre du récit, d'un panel d'écrivains et voyageurs, Mme Nedjma Benachour Tebbouche, docteur en littérature francophone et comparée à l'université les Frères Mentouri de Constantine, signe un essai d'une importance avérée, « Constantine et ses écrivains-voyageurs ». Il a été récemment publié aux éditions Chihab. Il s'agit, note la postface du livre, « d'une réflexion qui montre que cette ville, aux moments importants de sa formation, a suscité le voyage, de la période numide aux époques romaine, médiévale, ottomane et française, de célèbres voyageurs, géographes, historiens, romanciers ». On parle, entre autres, des récits de grands écrivains tels que Salluste, Ibn Hawakal, Strabon, El Idrissi, Léon l'Africain, Thomas Shaw... Les auteurs français, l'admiration prudente Mais ce sont les auteurs français, particulièrement ceux des 19e et 20e siècles, à l'image de G. Flaubert, A. Dumas, T. Gauthier, E. Fromenin, Louis Bertrand, à qui l'essayiste réserve un gros et truffé volume, citant et analysant, presque à la loupe, leurs impressions, réactions et précieux témoignages. Consciente toutefois de la délicatesse de ses « sujets » dont la présence coïncidait avec l'installation, puis la consolidation de la colonisation, elle s'en va, multipliant de pincettes, décortiquer des récits dont l'approche, du moins pour certains d'entre eux, Louis Bertand en tête, était tout simplement colonialiste. « Son récit du voyage de Constantine, d'un style remarquable, m'a offert la possibilité de montrer comment un écrivain, porte-parole d'une idéologie colonialiste, exploite toutes les opportunités pour la soutenir et la glorifier », remarque l'universitaire. Loin de constituer un paramètre du genre, l'exemple de l'auteur du « Mirage Oriental » n'occulte nullement les œuvres hautement esthétiques de ses compères, à l'image de Flaubert dont les observations sur la ville des ponts suspendus ont servi à nourrir son roman « Salammbô », ou Gauthier dans la pièce de théâtre « La Juive de Constantine ». Dans ce travail remarquable, inspiré par une étude académique de certains romans de langue française, menée dans la foulée de ses recherches à l'université, Mme Benachour Tebbouche restitue et met en valeur le récit de voyage de moins en moins sollicité à l'aune d'une littérature soumise au « diktat » du roman. Elle en appelle à célébrer la valeur esthétique en prenant en compte le contexte de son élaboration.