Gustave Flaubert a sensiblement contribué par ses deux œuvres maîtresses : Madame Bovary et Salammbô à élever la littérature française, au XIXe siècle, à un très haut niveau. Survol rapide de l'œuvre de ce grand écrivain au talent immense. Madame Bovary : un chef-d'œuvre On l'a dit, peu de génies furent aussi précoces que Flaubert qui, dès les bancs du collège, noircissait cahier après cahier. Pourtant, à l'âge de trente ans, lorsqu'il entreprend d'écrire Madame Bovary, il n'a encore rien publié. En 1849, il fait à des amis la lecture de son récit la Tentation de saint Antoine. Ses amis, réticents devant ces débordements lyriques, lui conseillent d'aborder un sujet plus proche de la réalité ordinaire. Il s'inspire alors d'un fait divers pour bâtir l'intrigue d'un roman réaliste, Madame Bovary. L'élaboration du roman, particulièrement pénible pour l'auteur, comme en témoignent les lettres qu'il écrit à cette période à Louise Colet, dure près de cinq ans - de 1851 à 1856 - et constitue l'occasion pour Flaubert de préciser sa démarche créatrice. Si la publication du roman en 1857 fait date dans l'histoire du roman français, c'est parce qu'il n'obéit pas aux règles traditionnelles de la narration. Flaubert y affine notamment la technique de la variation des points de vue, ou «focalisation», usant de ce procédé pour donner du réel une vision, non pas unique et organisée comme dans le récit balzacien (où le narrateur omniscient est le détenteur de la vérité), mais multiple, mouvante, complexe et subjective. C'est cette technique qui permet au narrateur de généraliser la dérision, en particulier de montrer avec une telle acuité les illusions d'Emma et la banalité de ses rêves et de dénoncer avec une ironie aussi mordante la médiocrité et la suffisance des petits bourgeois provinciaux. Le roman, considéré comme une offense à l'égard de l'église, est aussi accusé d'immoralité parce qu'il met en scène l'adultère. Le suicide d'Emma, le malheur de Charles et de son enfant ne semblent pas une punition suffisante aux yeux des tenants de la morale: il manque la sanction de la société. C'est pourquoi, le 29 janvier 1857, à la suite de la parution de Madame Bovary en feuilleton dans la Revue de Paris, Flaubert est convoqué à la sixième chambre correctionnelle pour répondre à une accusation d'irréligion et d'immoralité. L'accusateur est le procureur Pinard, célèbre pour avoir, la même année, fait condamner les Fleurs du mal de Charles Baudelaire. Finalement acquitté par ses juges, Flaubert tire plus d'avantages que de désagréments de l'«affaire Madame Bovary», puisqu'il obtient un vrai succès de scandale. Autres grandes œuvres de Flaubert En 1862, Flaubert publie Salammbô, roman qui a pour cadre Carthage à la fin de la Première guerre punique. Inspiré de faits historiques (la révolte des mercenaires qui, n'ayant pas été payés, se soulevèrent contre la ville), cette fresque grandiose raconte aussi la passion de Mâtho, chef des mercenaires, et de Salammbô, fille du général carthaginois Hamilcar et prêtresse de la déesse Tanit. Avec le même souci de vérité qui caractérise déjà son travail sur Madame Bovary, Flaubert réunit pour ce récit une colossale documentation. Fasciné par la beauté et la cruauté des grands faits guerriers et des mythes antiques, il souhaite «faire vrai» tout en se permettant toutes les fantaisies sur cette époque mal connue. L'autobiographie tient une grande place dans l'Education sentimentale (1869), qui est un peu l'équivalent français des genres allemand et anglais et qui constitue une autre étape majeure de l'évolution romanesque au XIXe siècle. Pour Flaubert, l'autobiographie romancée est surtout un moyen de régler ses comptes avec le jeune homme qu'il fut. Evoquée déjà dans les Mémoires d'un fou, sa rencontre avec Elisa Schlésinger inspire aussi l'Education sentimentale, qui relate l'amour avorté du héros (Frédéric Moreau) pour une femme mariée, plus âgée que lui. L'absence de dramatisation et d'illusion romanesque, au sein d'une narration construite comme un enchaînement de tableaux, explique le fait que l'Education sentimentale fut prise comme modèle par toute la génération naturaliste. A la fois fresque historique et peinture de la Révolution de 1848, ce roman est surtout le récit de l'échec, incarné par Frédéric Moreau. Le jeune homme, nourri de rêves amoureux et d'ambitions sociales, se montre en fait incapable de vivre pleinement son amour pour Mme Arnoux et incapable d'agir face aux événements politiques auxquels il est confronté. Au-delà de l'anecdote autobiographique, il est le symbole du naufrage de toute une génération. La genèse de Bouvard et Pécuchet remplit presque toute la période qui va de 1874 à la mort de Flaubert, en 1880. Certes, pendant ces années, Flaubert a également retravaillé la Tentation de Saint Antoine et composé ses Trois Contes, mais Bouvard et Pécuchet reste l'illustration et l'aboutissement du parcours intellectuel de Flaubert. Ce roman inachevé constitue la manifestation de la crise du romanesque. En effet, seul le premier chapitre a une vraie forme narrative - il relate la rencontre de ces deux copistes autodidactes --, le reste du livre consiste en une gigantesque nomenclature des sciences auxquelles s'adonnent successivement les deux héros sans pour autant les maîtriser: la narration y laisse la place au catalogue. Flaubert réalise là une mise en scène de la difficulté -- de l'impossibilité -- d'une entreprise démiurgique (ou littéraire) qui voudrait embrasser la réalité tout entière. L'échec de Bouvard et de Pécuchet symbolise ainsi, de façon caricaturale, le drame de Flaubert et de nombre d'écrivains. Pour terminer, citons quelques grandes œuvres de Gustave Flaubert. Ce sont : Madame Bovary (1857), Salammbô (1862), l'Education sentimentale (1869), la Tentation de Saint Antoine (1874), Bouvard et Pécuchet (1881 mais inachevé), le Château des cœurs (1880), Mémoires d'un fou (1838), Par les champs et les grèves (1910), Dictionnaire des idées reçues (1913), œuvres de jeunesse inédites (1910), Lettres inédites à Tourgueniev (1947). Quelques citations célèbres de l'écrivain «Il est si doux, parmi les désenchantements de la vie, de pouvoir se reporter en idée sur de nobles caractères, des affections pures et des tableaux de bonheur.» (Madame Bovary) «On fait de la critique quand on ne peut pas faire de l'art, de même qu'on se met mouchard quand on ne peut pas être soldat.» «Et ayant plus d'idées, ils eurent plus de souffrance.» (Bouvard et Pécuchet, chap. 1) «La mort n'a peut-être pas plus de secrets à nous révéler que la vie ?»(Correspondance à George Sand, 2 juillet 1870) «Ministre : Dernier terme de la gloire humaine.» (Dictionnaire des idées réçues) «Il ne faut pas toucher aux idoles: la dorure en reste aux mains.»(Madame Bovary) (Suite et fin)