Une réflexion passionnante de Nedjma Benachour-Tebbouche sur une ville qui a tant inspiré les écrivains. A vec un prénom sans doute prédestiné, l'auteure, docteur d'Etat en littérature francophone et comparée, est maître de conférences à l'Université Mentouri de Constantine. Dans ses recherches et publications, elle a été amenée à étudier les représentations littéraires diverses de sa ville : récits de voyages, témoignages, romans. Le présent ouvrage est d'ailleurs tiré et adapté de sa thèse, soutenue en 2002, sous la direction de Charles Bonn, spécialiste de la littérature algérienne d'expression française, qui signe là une préface enthousiaste où il met en valeur deux points. Le premier est que « le roman est un genre littéraire indiscutablement citadin ». Le second est que Constantine est une ville particulièrement propice à la littérature « dont chaque pierre pourrait raconter une histoire immémoriale ». Elle a en effet inspiré tant d'auteurs à travers les âges, s'imposant comme l'un de leurs personnages principaux et il suffit de citer l'incontournable Nedjma de Kateb Yacine pour saisir toute la puissance évocatrice d'une telle ville dont la géologie et l'urbanisme sont déjà d'immenses éléments dramatiques. Comme dans toute recherche, Nedjma Benachour -ebbouche (N.B.T.) a dû définir son corpus. Elle s'est ainsi concentrée sur trois auteurs natifs de Constantine (Kateb Yacine, Malek Haddad, Rolland Doukhan) et deux autres, originaires de l'Est algérien, mais ayant séjourné à Constantine (Rachid Boudjedra et Tahar Ouettar). L'interrogation sur le rapport entre la ville réelle et la ville fictive prend une dimension particulièrement intéressante, sinon étonnante. Et pour l'aborder, N.B.T, en bonne « enquêteuse », présente les repères biographiques de chaque auteur retenu. On y apprend que Kateb Yacine, inscrit à l'état-civil du village de Condé Smendou (auj. Zighout Youcef) par son grand-père maternel, bach-adel (juge auxiliaire ?) était né en fait à la Casbah de Constantine, près du Tribunal militaire. Ou que Malek Haddad et Rolland Doukhan s'étaient rencontrés au lycée d'Aumale (auj. Réda Houhou) et que, plus tard, ils sont devenus l'un pour l'autre des personnages de romans, dans une relation amicale aux inspirations croisées ! Boudjedra qui s'est toujours déclaré « écrivain de l'urbain » et est né pour sa part à Aïn Beïda. Enfant, il a séjourné à Constantine avant que sa famille ne s'installe à Tunis. L'auteure se demande pourquoi l'écrivain n'a pas mentionné cet épisode biographique dans le livre-entretien avec Hafid Guefaïti (Boudjedra ou la passion de la modernité, Denoël, Paris, 1987), alors que plusieurs de ses romans ont justement pour cadre ou référence cette ville. L'écrivain, qui dit cependant s'inspirer de nombreuses villes d'Algérie a ainsi affirmé : « La ville qui m'a peut-être le plus fasciné et sur laquelle j'ai écrit, c'est Constantine. » N.B.T. se demande pourquoi le lieu natal est absent de l'œuvre. Il reste qu'ayant quitté à sept ans Aïn Beïda, Boudjedra n'en a sans doute gardé que des souvenirs d'intimité familiale. Pour sa part, Tahar Ouettar, né à M'daourouch, la fameuse Madaure de l'Antiquité où naquit le non moins fameux Apulée, a séjourné à Constantine au milieu des années 50, étudiant à l'Institut Ibn Badis avant de rejoindre l'enseignement de la Zitouna de Tunis. La ville du Rocher lui a inspiré le roman Ezilzel (Le tremblement de terre) qu'il a affirmé avoir rédigé en un seul été (1973) dans un camping-car où la température « montait à 48° », version dont semble douter l'auteure qui se demande plaisamment si « l'écrivain n'avait pas un point de chute à Constantine ? » Au delà des rapports réels, sans doute édifiants, des auteurs avec la ville, l'essai vaut particulièrement par l'analyse des textes littéraires. Et là, l'auteure nous entraîne dans des découvertes qui renouvellent la vision que l'on peut avoir d'œuvres plus ou moins lues et connues. Une analyse forte et profonde, comme ce développement qui relève que, de tous les romans retenus par l'étude, seul celui de Tahar Ouettar présente, dès les premières lignes, le cadre de l'action, soit la ville. N.B.T. montre que les autres romanciers, nés ou ayant vécu enfants à Constantine, entretiennent avec elle une relation mnémonique. « Ainsi, la ville, dit-elle, se montre dans le texte comme elle se présente dans leur inconscient, c'est-à-dire par tronçons, par flashes » Tahar Ouettar l'ayant connue adulte ne l'a pas « intériorisée » et la voit donc de manière directe, sans l'entremise de souvenirs profonds qui donnent souvent chair à la littérature. L'essai fourmille de richesses Nous regretterons avec Nedjma BenachourTebbouche qu'elle n'ait pu intégrer dans son ouvrage la littérature orale ni les nombreux romans parus après sa thèse (mais nous l'encourageons à le faire. En conclusion, elle se demande s'il est « aisé de réfléchir sur la représentation d'une ville qui est sienne, qu'on connaît rue par rue et avec laquelle des liens affectifs se sont tissés à travers les ans, les personnes et les souvenirs ». Oui, madame, c'est d'ailleurs cela qui rend votre essai dénué de la sécheresse du genre et lisible par un public un peu plus large que les spécialistes. Constantine et ses romancier, Nedjma Benachour-Tebbouche. Ed. Média-Plus. Constantine, 2008.