La transition de la Tunisie vers la démocratie peut démarrer. Mohammed Ghannouchi s'est engagé, jeudi dernier, à préparer des élections libres, avec une commission électorale indépendante et des observateurs internationaux, et permettre à toutes sensibilités politiques d'y participer. Cinq ministres, symboles de l'ère Ben Ali, ont fait jeudi les frais du remaniement imposé par la rue tunisienne et les manifestants qui campent depuis une semaine devant la Casbah, siège de la primature. Notamment les titulaires des postes-clés : Défense, Intérieur, Affaires étrangères, Finances. Maintenus au nom de la continuité et pour leur compétence dans l'exécutif formé le 17 janvier dernier, ils ont été remplacés à l'issue d'«intenses consultations avec tous les partis politiques et les composantes de la société civile qui ont accepté d'y participer» par des technocrates. L'Intérieur revient désormais à Farhat Rajhi, un magistrat, procureur de la République auprès de la Cour d'appel de Bizerte, et président de la Chambre criminelle à la Cour d'appel de Tunis et la Défense à Abdelkarim Zebidi, ex-ministre de la Santé et de la Recherche. Le chambardement ne s'est pas arrêté aux reliquats du RCD. Pas moins de 12 ministres ont été changés. «C'est un gouvernement intérimaire de transition qui restera en place jusqu'à ce qu'il accomplisse sa mission de mener le pays à la démocratie», déclare le chef du gouvernement avant d'appeler les Tunisiens à «retourner au travail» et d'annoncer son projet de former un «comité de sages» pour superviser la transition vers un régime démocratique. Personnalité politique respectée du temps de Habib Bourguiba, Ahmed Mestiri, 80 ans, espère être nommé à la tête de ce comité pour «protéger la révolution qui s'est déclenchée de manière spontanée». «Quand le Conseil sera créé, je présenterai ma candidature au poste de président», dit-il convaincu que la tenue de nouvelles élections pourrait prendre plus de six mois et que «la situation pourrait subir un revers en raison du chaos». «Il y a des ennemis à l'intérieur et à l'extérieur du pays qui mettent leurs forces en commun pour organiser le retour du régime injuste de Ben Ali», dit-il sans donner plus de précision. L'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) qui a préféré rester «en dehors» de ce néo-gouvernement pour garder un pied dans l'opposition a donné son aval. Même si la reconduction de Mohammed Ghannouchi il a été un fidèle serviteur de Ben Ali pendant onze ans tout comme les deux ministres, Mohamed Nouri Jouini, à la Planification et la Coopération internationale et Mohamed Afif Chelbi, à l'Industrie et la Technologie, pose problème pour la frange la plus radicale des contestataires que le Premier ministre veut rencontrer pour «discuter de leurs demandes». La concertation prendrait-elle le pas sur la contestation ? L'UGTT a participé hier à une rencontre avec l'opposition, l'Ordre des avocats et d'autres composantes de la société civile pour s'entendre sur la suite à donner à leur mouvement après la désignation du nouveau gouvernement. Abdessalam Jrad, le patron de l'UGTT, qui a joué la surenchère pour occulter ses liens avec le pouvoir avant de retrouver un sens de la responsabilité, tente depuis hier de convaincre les manifestants et ceux qui s'accrochent à «Ghannouchi doit partir» de rentrer chez eux, car les «motifs de contestation» ont disparu. Radhouane Nouisser, le secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, qui représentera la Tunisie au sommet de l'Union africaine qui s'ouvrira demain à Addis-Abeba jure à qui veut l'entendre que la «situation s'améliore, se stabilise» et que «la sécurité est rétablie».