Mohamed Ghannouchi a tenté de convaincre les Tunisiens que son seul but est de mener à bon port la transition et non à rester au pouvoir. La rue et les organisations d'opposition maintiennent la pression. Des alternatives s'ébauchent. Ahmed Mestiri, ancien ministre de la Justice de Bourguiba, pourrait être l'alternative consensuelle pour la transition vers la démocratie. Contesté par une grande partie des Tunisiens qui voient en lui un symbole de la permanence de l'ancien, le Premier ministre Mohammed Ghannouchi a tenté de rassurer en indiquant qu'il cesserait toute activité politique après la fin de la période de transition. Emu, celui qui a été pendant 11 ans Premier ministre, a avoué que, durant toute cette période, «il avait peur, comme tous les Tunisiens ». Même si certains le créditent d'une certaine sincérité, l'assertion ne peut que laisser sceptique une opposition traquée hier et qui veut obtenir un démantèlement rapide du système politico-policier de Ben Ali. Le bras de fer politique se poursuit entre un gouvernement de transition qui dit assurer la continuité de l'Etat et une rue qui l'accuse de tenter d'assurer la continuité du système de Ben Ali. Ghannouchi, qui semble avoir l'appui d'une partie des hommes d'affaires tunisiens, a tenté de convaincre les Tunisiens que sa seule ambition est de permettre une transition en bon ordre tout en soulignant le caractère irréversible du processus. « Nous avons opéré un revirement à 180 degrés », a-t-il assuré en soulignant qu'il n'y avait « pas de possible retour en arrière ». Les lois antidémocratiques - comme les lois électorale et antiterroriste, le code de la presse- seront abrogées au cours de la transition tout en préservant les acquis du statut de la femme, la gratuité de l'enseignement ou l'accès à la santé. S'engageant à quitter la politique après la période de transition qui s'achèvera avec des élections démocratiques, Ghannouchi a tenu à s'adresser aux «femmes et aux hommes d'affaires » en indiquant qu'une «nouvelle ère s'ouvre et qu'il faut maintenant se montrer pour investir, entreprendre et réussir. Toute entrave sera levée aux affaires ». Message à la bourgeoisie tunisienne Message limpide à une partie de la bourgeoisie tunisienne qui a plutôt choisi de thésauriser que d'investir afin d'éviter de passer par la dîme obligatoire à verser au clan de Leila Trabelsi. C'est en quelque sorte le programme de Ghannouchi pour la transition qui serait destiné à laver l'image d'un serviteur obéissant à Ben Ali. Même si Ghannouchi a la réputation de ne pas avoir trempé dans les basses besognes et dans la corruption, il lui est difficile de faire oublier ces 11 années de « bons et loyaux » services au système mis en place par Ben Ali. La « peur » qu'il invoque aujourd'hui est sans doute réelle. Mais cela n'absout pas les zélés serviteurs du système. Ceux-là qui continuent, selon les Tunisiens qui manifestent quotidiennement, à présider aux destinées du gouvernement. Du côté de l'UGTT, la méfiance à l'égard du gouvernement Ghannouchi reste de mise. La Centrale syndicale a appelé à la formation d'un gouvernement de salut national de coalition «pour répondre aux revendications des protestataires, des partis politiques, de la société civile et des citoyens ». La commission administrative a décidé, à l'issue d'une réunion tenue vendredi sous la présidence d'Abdessalem Jrad, secrétaire général de l'UGTT, la poursuite de la lutte « par les grèves et les manifestations pacifiques » jusqu'à la constitution « d'un gouvernement conforme aux conditions fixées par la centrale syndicale. L'option Ahmed Mestiri Cet appel de la puissante centrale syndicale fait partie de l'alternative qui se dessine au gouvernement de Ghannouchi. Les opposants qui continuent à occuper la rue pensent que le gouvernement table sur la réouverture des universités et des écoles pour réduire la pression et gagner du temps. Un « front du 14 janvier » regroupant des organisations de gauche et nationalistes s'est donné comme objectif de faire tomber le gouvernement Ghannouchi et de le doter d'un gouvernement de transition avec pour objectif de mettre une Constituante. L'alternative au gouvernement Ghannouchi pourrait être des personnalités indépendantes connues, la plus en vue étant celle d'Ahmed Mestiri, ancien ministre de la Justice du président Bourguiba. Des consultations seraient en cours entre Mestiri et deux autres ministres sous Bourguiba, Ahmed Bensalah et Mostafa El Filali, avec l'opposition, l'UGTT, les ONG. Cette alternative pourrait prendre l'aspect d'un gouvernement de Salut public ou d'un Conseil de la révolution qui aurait la capacité de geler l'actuelle Constitution, de légiférer durant la transition et de préparer les élections. Un conseil de juristes entoure M.Mestiri et planche sur cette alternative qui permettrait de sortir du bras de fer entre la rue et le pouvoir en place et d'engager le pays dans la transition.