« Mesdames, Messieurs, Comme j'ai eu l'occasion de le dire en pareille circonstance, « cette ville a un attrait tel que ses visiteurs, à peine l'ont-ils quittée, sont pris d'une nostalgie qui les y ramène toujours » et moi-même, comme vous le savez, j'y suis retourné maintes fois. Le savoir semble avoir trouvé refuge dans votre ville et en a fait sa citadelle à tel point que nul ne peut imaginer que le savoir et Constantine puissent se dissocier un jour. Nul doute que la manifestation « Constantine, capitale de la culture arabe », qui a fait de votre ville la capitale de l'ensemble des pays arabes, a été pour vous source de joie et de fierté. Vous pouvez vous enorgueillir car elle a été, durant toute une année, un espace de rencontres et d'interaction où se sont côtoyées les élites arabes du Mashreq et du Maghreb pour échanger autour des arts, du savoir et de la culture, mettant en exergue leur richesse et leur diversité, et où se sont renforcés les liens naturels entre l'Algérien et ses frères dans l'espace plus large qui s'étend sur les deux continents que sont l'Afrique et l'Asie. Si cette année a été riche en production culturelle, tout le mérite en revient à ces hommes et à ces femmes qui ont contribué à son succès par leurs apports et leurs œuvres et auxquels nous rendons hommage. Mesdames, Messieurs, L'histoire de l'Algérie retiendra que l'enseignement était florissant et les structures dédiées à l'instruction et au savoir étaient légion avant l'invasion de l'Algérie par la France en 1830. Des faits attestés par les historiens occidentaux intègres qui se sont penchés sur la situation en Algérie, notamment durant la période antérieure à l'occupation française abjecte. Mais la tendance a été totalement inversée : au crépuscule du 19e siècle, l'analphabétisme orchestré par l'administration coloniale avait gagné la majorité des Algériens comme en témoigne l'accroissement considérable du taux d'analphabétisme qui a atteint 60% de la population au lendemain du recouvrement par l'Algérie de sa souveraineté en 1962. A vous de méditer, Algériennes et Algériens, cet étonnant paradoxe consacré par l'entreprise coloniale française : une société paisible, alphabète et jouissant du savoir qui se transforme, sous l'occupation obscurantiste, en une société primitive, arriérée et coupée des lumières du savoir. Consciente que son seul et unique ennemi était le savoir qui sous-tend tout mouvement salutaire d'édification sociale et civilisationnelle, l'odieuse administration coloniale s'est acharnée, un siècle et quart durant, à semer l'ignorance au sein du peuple, n'hésitant pas à détruire les écoles, les zaouïas et les mosquées ni à brûler les bibliothèques à travers tout le pays. L'exemple le plus éloquent est incontestablement la manière dont elle a achevé son occupation abjecte, à savoir l'incendie de la bibliothèque de l'Université d'Alger en avril 1962, le mois où nous célébrons « Yaoum El Ilm ». Cette politique funeste a provoqué la mort d'Oulémas algériens, enseignants et d'élèves de lycées et d'étudiants d'universités et j'en passe. Bien pire, l'administration coloniale a œuvré à l'abêtissement des esprits et à la propagation de l'obscurantisme et a cru avoir atteint son but : asseoir son monde à elle et celui des Algériens, confrontés aux affres du colonialisme et de l'occupation. Cette situation pénible perdura jusqu'au sursaut des Algériens qui, à la fin du 19e siècle, sous l'impulsion d'une élite de jeunes aussi braves que courageux, qui ont rallumé le flambeau du savoir et œuvré à sa diffusion parmi la population. Et c'est ainsi qu'Allah gratifia l'Algérie d'un fils de votre ville, un homme qui aspirait à un avenir dans lequel l'Algérien serait à nouveau debout à l'instar de ses semblables en ce monde. Il s'agit bien sûr d'Abdelhamid Ibn Badis, Essanhadji par affiliation et ascendance. Il avait acquis la conviction que le savoir devait être pour l'Algérien un besoin aussi vital que l'air qu'il respire et que la liberté n'était pas un vain mot mais bel et bien le butin d'une lutte âpre et de longue haleine reposant sur le savoir et la connaissance avant les armes. Aussi, l'impact de la plume a-t-il devancé le sifflement des balles et vous voilà aujourd'hui jouissant du bienfait de cette entreprise. Mesdames, Messieurs, Constantine, et à l'instar des autres villes d'Algérie, célèbre aujourd'hui le 76e anniversaire de la disparition du leader du mouvement réformateur, Cheïkh Abdelhamid Ibn Badis. Un moment fort pour le peuple algérien de se remémorer cet illustre savant de notre histoire contemporaine et célébrer, à cette occasion, Yaoum el Ilm (journée du savoir), devenu une halte annuelle pour s'arrêter sur les différentes étapes franchies sur la voie de notre imam Abdelhamid Ibn Badis (Puisse Dieu lui accorder Sa Miséricorde). L'objectif de cette célébration année après année, de Yaoum el Ilm, ne se limite pas à l'évocation de ce leader, exemple de conduite, et de ses compagnons qui ont sacrifié leur vie au service de leur patrie l'Algérie en faisant de la diffusion du savoir et des connaissances, acte salutaire tant en ce bas monde que dans la vie éternelle, un moyen effectif d'émancipation intellectuelle sans lequel l'Algérien n'aurait jamais pu se débarrasser du joug colonial. Il est donc de notre devoir de souligner tout notre respect et toute notre considération envers ce symbole national et de saisir cette opportunité pour méditer son parcours militant et y puiser leçons et enseignements. Cela contribuera au raffermissement du lien entre notre présent et notre passé pour avancer d'un pas sûr, armé d'une détermination inébranlable, vers le futur tout en étant en phase avec notre époque afin de remporter l'enjeu de la modernité sans jamais se détourner ni de notre patrimoine ni de notre authenticité. Les efforts de Cheïkh Abdelhamid Ibn Badis et de ses compagnons au sein de l'Association des ouléma musulmans tendaient tous à déjouer les plans colonialistes visant à annihiler la personnalité nationale et à aliéner les composantes de l'identité du peuple algérien à la faveur desquelles il a pu préserver ses valeurs authentiques et reconstruire son entité nationale jusqu'à se relever, fier et glorieux, devant les autres peuples du monde. Et c'est à partir de ce socle solide qu'Abdelhamid Ibn Badis a su défendre la langue arabe et la culture algérienne, prenant conscience, dans le même temps et grâce à sa vision percutante, de la dualité naturellement établie entre les dimensions amazigh et arabo-musulmane du peuple algérien. Entre autres signes à travers lesquels il insistait sur l'aspect amazigh en tant qu'élément fondamental de notre identité nationale, la signature de ses articles publiés dans la revue El Chihab, « Ibn Badis Essanhadji ». En ce jour, et alors que nous nous remémorons les grandes qualités de l'imam Abdelhamid Ibn Badis, sa conduite et sa vie consacrée au seul service de l'emblème, du savoir et du combat pour la cause nationale, nous nous devons de réfléchir longuement à tout ce qu'il a réalisé aux côtés de ses compagnons, dans le domaine de l'éducation et de l'enseignement et à ce qu'il a consenti pour soustraire la pratique religieuse des vices du charlatanisme et de l'imposture. Cela sans oublier le domaine de la politique, de la société, de la presse et de l'information en dépit des tentatives désespérées du colonialisme visant à étouffer toute voix libre. Ainsi, Cheïkh Abdelhamid Ibn Badis s'est évertué, toujours entouré de ses compagnons, à contrecarrer le projet français occidentaliste en veillant à l'enseignement des grands et des petits, filles et garçons, et en les sensibilisant à travers un discours qui se résume en sa célèbre citation à l'adresse de l'Algérien : « Tu ne sauras vivre sans ton peuple, ton pays, ta religion ou ta langue et sans tout ce qui est convenant et bienséant dans les traditions et coutumes. Et si tu désires assurer continuité et pérennité à tout cela, sois alors l'enfant de ton temps et vis en parfaite harmonie avec ta raison de vivre et les moyens de coexistence et adopte une conduite exemplaire au sein de la société ». Le devoir me dicte à cette occasion, d'exprimer la gratitude du peuple algérien tout entier, et sa pleine reconnaissance à tous les hommes et à toutes les femmes qui ont contribué, de génération en génération, avant et au lendemain de l'indépendance de notre pays, au recouvrement du droit de l'Algérien au savoir et à la science par leur précieux apport à l'édification du système éducatif national. Mesdames, Messieurs, Yaoum El Ilm est une journée chère aux Algériennes et aux Algériens qui restent fiers de leur apport à la pensée et à la science depuis Apulée de Madaure à l'émir Abdelkader et Ibn Baddis. La liste de ces oulémas moudjahidine est évidemment longue et compte des caravanes de grands hommes qui ont sacrifié leur vie pour le développement de leur société à travers les siècles et la préservation de sa cohésion. La quête du savoir se fera au prix d'un combat rude pour le peuple algérien tout au long des années de l'occupation où il sera soumis à la pire des politiques obscurantistes allant jusqu'à la liquidation de ses savants et de ses intellectuels. Fort de ce constat, l'Etat algérien a veillé, depuis son rétablissement, à accorder une attention particulière à l'éducation des générations montantes et à leur permettre d'accéder à la science et au savoir, étant convaincu que l'investissement dans la ressource humaine est le plus sûr des investissements et le plus durable. Cet investissement permet de former un citoyen algérien capable de s'identifier à son authenticité et prendre la bonne voie pour occuper la place qui lui revient dans le monde qui l'entoure et permettre ainsi à notre pays de relever les défis induits par les mutations sur les plans politique, économique et culturel et faire face aux bouleversements que connaît le monde dans son ensemble. Il y a, il est vrai, de nouveaux enjeux liés à la mondialisation, l'apparition de la société d'information et de communication, l'accélération du processus de la révolution scientifique et technologique, qui imposent à l'Algérie de s'impliquer dans les réseaux du savoir et de répondre à la demande sociale et économique qui exige des niveaux plus hauts de qualification et de performance sachant que la qualité de la ressource humaine, de la formation de l'élite nationale, l'adoption de nouveaux comportements dans le travail et la production du savoir sont autant d'impératifs à consacrer en ce sens qu'il s'agit de facteurs influents dans la définition des nouveaux équilibres géostratégiques mondiaux. Certes, la science a un rôle important dans le processus du progrès et du développement et un impact sur ses applications technologiques accélérées englobant tous les domaines notamment les technologies d'information, mais nous ne devons pas être éblouis au point de négliger ses aspects négatifs au risque de se trouver dénué de notre humanisme et de notre particularité culturelle. Il n'y pas pire qu'un savoir sans valeurs morales, conscience et discernement. Nous avons besoin d'une science utile, une science qui consacre notre humanisme ici bas ! Mesdames, Messieurs, L'école crée, en l'être humain, l'esprit de concurrence qui l'empêche de s'abandonner à la paresse et à la passivité. Elle développe en lui les valeurs spirituelles, nationales et humaines en l'éloignant de l'extrémisme et du fanatisme, elle l'encourage, en somme, à devenir un bon citoyen, utile pour lui-même et pour les autres. Les garants de cette noble mission doivent prendre conscience du rôle important qui leur est assigné dans la formation du bon citoyen et dans la protection de l'identité culturelle de notre société. Consciente de cet enjeu, l'Algérie accorde une importance vitale à l'éducation, à l'enseignement et à la recherche scientifique, en témoignent quelques chiffres qui reflètent ces efforts et traduisent la volonté des pouvoirs publics de relever le défi pour garantir une éducation saine aux générations montantes algériennes. Le taux de scolarisation des enfants âgés de 6 ans a atteint 98,5%, les enfants scolarisés dans le cycle primaire est de 97,9% et le taux global des élèves scolarisés est de 8 millions et demi d'enfants, soit plus d'un cinquième de la population globale de l'Algérie sans compter les étudiants de l'université et des instituts d'enseignement supérieur. Ces pas géants franchis par notre système éducatif ne doivent pas cependant nous détourner de la nécessité de perfectionner ce dernier en déployant davantage d'efforts à travers l'amélioration du niveau des enseignants qui sont le pilier de l'œuvre éducative et en permettant l'accès au monde des technologies de la communication et de l'information par une formation et une gestion plus efficaces. Mesdames, Messieurs, En cette journée dédiée au savoir, je tiens à affirmer que la langue amazigh promue en 2002 langue nationale et institutionnalisée, à la faveur de la récente révision constitutionnelle, langue nationale officielle trouvera en tant que composante fondamentale de notre identité nationale, à sa place naturelle avec l'Islam et l'arabité en tant qu'affluents du patrimoine partagé par le peuple algérien. La promotion de tamazight en langue nationale officielle s'inscrit dans la démarche de raffermissement de l'unité nationale et de consolidation de la cohésion sociale et l'académie dont la mise en place est prévue par la Constitution veillera à la sauvegarde de tamazight en tant que langue, culture et patrimoine à travers des procédés scientifiques à même de garantir son essor et impulser son utilisation dans les domaines de la création scientifique, littéraire et médiatique et à assurer sa généralisation à tous les Algériens. Nous n'avons d'autre choix que de faire de la quête du savoir l'objectif principal de notre société et de former une base scientifique à même d'innover des procédés pour définir les contours d'un avenir de prospérité et de progrès. Une telle mission incombe à nos universités qui auront la tâche de doter le pays d'une élite, de savants et de chercheurs dans divers domaines de la connaissance et des spécialités, qui soit non seulement au diapason des progrès de notre présent mais qui puisse aussi contribuer à ses réalisations. Une élite qui soit dans le même temps soucieuse des intérêts suprêmes du pays et contribue activement à la solution des problèmes qui se posent avec instance au peuple. Ceci étant, l'université algérienne ne doit pas se confiner à la seule recherche de réponses aux exigences conjoncturelles et renoncer à la recherche théorique et encore moins à sa mission académique. Elle doit savoir classer ses priorités de manière à trouver un équilibre, dans toutes les questions pédagogiques, entre la nécessité de prendre en charge la promotion de la société et celle de développer la recherche fondamentale, indispensable à tout effort de progression. Dans le même temps, le besoin d'un système numérisé dans les universités et établissements éducatifs et culturels est induit de notre souci de réunir les moyens de parvenir à l'information où qu'elle se trouve. Une jeunesse savante, éclairée, consciente et créative doit de ce fait constituer le socle porteur de cette société de savoir que nous ambitions à juste titre d'intégrer. Mesdames, Messieurs La culture relève sans nul doute d'un comportement humain social en perpétuelle évolution. L'entreprise culturelle repose certes sur l'individu mais elle constitue un produit commun à tous les membres de la communauté qui conviennent de valeurs et principes pour la promotion de la société par la pensée, les arts et les lettres car il s'agit de construire une institution culturelle basée sur l'identité nationale unique mais aux dimensions multiples. Une culture saine représente le rempart qui préserve nos jeunes de l'extrémisme, fléau haineux qui traverse l'espace et le temps. Nous n'hésiterons pas à combattre l'extrémisme, notamment par l'arme du savoir pour anéantir ses causes et ses tenants. Algériennes et Algériens peuvent et doivent s'enorgueillir d'une Constitution qui consacre le droit au savoir en en faisant un droit pour tous les enfants du peuple. Nous devons plus que jamais œuvrer et faire en sorte que culture et savoir ne constituent plus des produits de consommation mais des outils de création et d'innovation au service du développement économique. La consécration du droit des citoyens et citoyennes au savoir nous met face à une responsabilité majeure, celle de prémunir la société de la culture de xénophobie, de terreur, d'extrêmise et de la culture de la mort. La culture n'est pas un produit officiel, elle n'est pas non plus l'œuvre d'une institution donnée. Elle est la résultante d'une dynamique sociale collective qui commence par l'apprentissage dans les établissements scolaires, à différents paliers, pour atteindre les centres de recherche scientifique et d'innovation en impliquant à la fois la rue, les structures religieuses, les maisons de jeunes et de culture, les théâtres, le cinéma, la télévision, les médias et autres structures culturelles et sociales vitales. Mesdames, Messieurs, En cette journée mémorable, en cette ville qui renvoie à notre histoire profonde et à notre glorieuse civilisation, et en cette circonstance heureuse que nous saisissons pour rendre l'hommage mérité aux glorieux chouhada de la révolution de Novembre, j'exhorte fortement tous les Algériens et Algériennes à accorder davantage d'intérêt à l'enseignement de nos enfants et à prêter main forte à l'Ecole algérienne pour préparer, aujourd'hui, la génération de demain, celle qui poursuivra, avec l'aide de Dieu, la marche des aînés qui ont mené le combat libérateur et parachèvera l'effort des bâtisseurs de l'Algérie indépendante. La génération de demain qui s'attellera, forte de son savoir et de sa culture, à consolider notre indépendance économique, contribuera à hisser haut le flambeau de la civilisation arabo-musulmane et offrira au fil des ans une place de choix à l'Algérie, patrie du savoir et de la culture.