L'Algérie va lancer un emprunt obligataire national. Une mesure qui garantirait des financements pour les grands projets de l'Etat ou une intervention dans les entreprises nationales ou mixtes. Qu'en pensez-vous ? L'économie algérienne a crû en moyenne de 3% au cours de ces dix dernières années, bien en deçà de son potentiel. En conséquence, des marges importantes existent, compte tenu des disponibilités actuelles en capital et en travail (plus de 10% de chômage). Ces marges, combinées à des politiques appropriées sur les plans macroéconomique et structurel, peuvent créer les conditions d'un relèvement du taux de croissance à 7 ou 8%. Afin de rendre cette croissance plus inclusive, le pari est de cibler des secteurs à fort coefficient de travail et les grands projets d'infrastructures. De ce fait, cette stratégie pourrait réduire le chômage, notamment celui des jeunes et des femmes qui est très élevé et, partant, augmenter ainsi le pouvoir d'achat de la population. Pour ce qui est du financement, il est temps d'innover et de diversifier les sources de financement. Un emprunt obligataire est une option appropriée. Pour les structures étatiques, un emprunt auprès des investisseurs privés domestiques et internationaux permettrait d'accéder à une épargne importante à condition de l'affecter à des projets rentables pour assurer le service de la dette qui va découler de ces emprunts. Cela permettra aussi de financer en partie le déficit du compte courant de la balance des paiements. Bien entendu, ceci implique ipso facto une politique de gestion de l'endettement public. Pour les ménages, ceci leur donnera l'occasion de diversifier le portefeuille d'actifs à la disposition des investisseurs et qui demeure pauvre en l'état actuel. Destiné aux particuliers, aux familles et aux entreprises, pour une valeur de 50.000 DA le titre et pour un taux d'intérêt de 5% (3 ans) à 5,75% (5 ans), pensez-vous que cet emprunt peut réussir ? Un emprunt obligataire donnerait à l'Etat un effet de levier pour financer des projets productifs, en particulier si les banques ont des difficultés à prêter comme c'est le cas dans le contexte actuel de stress économique causé par la chute des prix du pétrole. L'important pour la réussite de cette opération est de cibler les agents économiques à surplus. Pour les investisseurs, l'attrait pour un emprunt dépend de la rémunération de cet emprunt et surtout des risques liés à cette émission, notamment les risques de marché, de défaillance, d'inflation, de liquidités, politique, juridique et de force majeure. Dans le cas de l'Algérie, ce type d'opération est relativement nouveau. L'emprunt ne devrait pas poser de problème de placement majeur compte tenu d'une épargne privée assez importante (à peu près 32% du PIB). En outre, le secteur privé a un appétit pour des nouveaux actifs, en plus de celui qui s'est développé pour l'immobilier. Il faudra toutefois s'assurer que le contrat d'émission soit bien clair en ce qui concerne le prix d'émission, la durée, le taux d'intérêt servi, les modalités de remboursement et les garanties de l'émission. Quelles mesures préconisez-vous pour mener à bien une telle opération ? Compte tenu des niveaux d'épargne du secteur, une bonne politique de communication et un travail de didactique sur les tenants et les aboutissements de cet emprunt devraient donner de la visibilité à cette opération et assurer son succès. Il faut aussi préciser que cette opération s'inscrit dans une stratégie à moyen terme de sortie de crise et de renforcement de la résilience de l'économie nationale. L'autre mesure concerne un prêt de la Banque centrale au Trésor public en applicaption de l'article 46 de la loi sur la monnaie et le crédit. En quoi cela consiste-t-il ? Cet article 46 est relatif aux avances ordinaires consenties par la Banque centrale au Trésor pour couvrir une besoin de financement du déficit budgétaire. Cette avance est équivalente à 10% des recettes ordinaires constatées lors de l'exercice budgétaire précédent. Tout comme le même article prévoit des avances exceptionnelles destinées exclusivement à la gestion active de la dette publique extérieure. Cet article 46 n'est pas exceptionnel et cette pratique se fait dans beaucoup de pays. C'est un prêt certes mais consenti par l'institut d'émission pour couvrir un déficit. Et non pour financer un projet. Ces deux opérations s'inscrivent dans le cadre d'un nouveau modèle économique (2016-2019) annoncé par le gouvernement pour faire face au recul des recettes pétrolières. Est-il possible de mettre en place des mesures en cette conjoncture difficile ? Grand mot que ce concept de nouveau modèle économique pour peu qu'il y en ait eu de modèle économique ces dernières années. A l'indépendance, l'Algérie avait une vision économique et une démarche précise et cohérente. Au plan d'urgence couvrant 1962-65, a succédé le plan triennal 1967-69 visant à atténuer les déséquilibres économiques régionaux et créer les conditions d'une véritable planification économique. Deux plans quadriennaux ont été mis en œuvre favorisant un modèle de développement économique basé sur des investissements massifs, notamment dans le domaine des industries lourdes et les secteurs sociaux. Mais la planification centralisée et un certain nombre d'erreurs stratégiques ont produit des déficiences et entraîné l'abandon de ce modèle dans les années 1980. La fin de la bipolarisation et la généralisation du consensus de Washington ont ôté toute justification pratique au modèle économique suivi dans les années 1970. Depuis la fin des années 1980, il est difficile de se faire une idée sur le type de modèle économique en place. Est-ce un modèle basé sur la consommation intérieure ? Sur les investissements ? Sur les exportations ? Difficile à définir. Cette crise nous donne donc une opportunité de redéfinir nos priorités économiques et les politiques à mettre en place. Que faut-il faire ? L'Algérie a subi un choc extérieur sévère en 2014 qui n'a pas été suivi de politiques correctives immédiates (comme cela aurait dû être le cas), les autorités pensant que le marché du pétrole allait repartir à la hausse. En conséquence de cette position attentiste, les déséquilibres macroéconomiques se sont aggravés, notamment avec le creusement du déficit du compte courant de la balance des paiements de 10 points de pourcentage du PIB, le creusement du déficit budgétaire global de 9 points de pourcentage du PIB, le doublement de l'indice des prix à la consommation et une baisse de la croissance de un point de pourcentage. Face à cela, et compte tenu d'un environnement économique global difficile (volatilité des cours des grandes monnaies, faibles perspectives de croissance mondiale, baisse des prix de la plupart des produits de base, déflation au niveau des pôles de croissance mondiaux, ralentissement de la croissance en Chine qui est en train de réorienter son modèle de croissance vers la consommation intérieure avec beaucoup de difficultés), que doit faire notre pays ? Agir et éviter de se lancer dans des débats stériles sur l'endettement intérieur et/ou extérieur. Ce débat stérile me rappelle un autre débat stérile de la fin des années 1980 et début 1990 sur le nécessité d'aller au Club de Paris pour rééchelonner une dette extérieure qui étranglait le pays (finalement ce rééchelonnement a été réalisé en 1995 et a permis à l'Algérie d'alléger le poids de la dette et de repartir sur des bases saines). L'épargne intérieure et l'épargne extérieure sont indispensables au financement de toute économie et tout pays qui souhaite créer de la richesse ne devrait jamais s'en priver. Encore faut-il gérer ces emprunts et les placer dans un contexte de soutenabilité de l'endettement public comme explique plus haut. A défaut d'une vision à long terme qui est indispensable, un plan à moyen terme de consolidation, d'ajustement et de relance est vital pour mettre en place des mesures correctives cohérentes et donner une visibilité à la politique à moyen terme du pays, surtout si les décideurs souhaitent—et ils doivent le faire— mobiliser l'épargne intérieure et extérieure et développer le marché financier domestique. Ce plan à moyen terme devra comprendre trois volets, notamment les politiques macroéconomiques (impôts, dépenses, taux de change, taux d'intérêt, etc., gouvernance des banques), les politiques structurelles et les politiques sectorielles. Il y a beaucoup de marge dans les trois domaines. Combiné aux ressources en travail et capital inutilisé, ce plan a de sérieuses chances d'insuffler du dynamisme et de préparer l'avenir.