Mohamed Ghannouchi, le Premier ministre tunisien, ouvre les hostilités avec le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), trois semaines après la fuite président Zine El-Abidine Ben Ali en Arabie Saoudite. Le parti au pouvoir, sous le président Ben Ali, passera à la trappe prochainement. « Dans l'attente de présenter une demande officielle à la justice en vue de sa dissolution », une mesure qui devrait, si elle aboutit, répondre à une attente assez forte des Tunisiens qui qualifient ce parti, depuis 30 ans, de symbole de la répression, Fahrat Rajhi, le ministre de l'Intérieur, a décidé « de suspendre toutes les activités du RCD, d'interdire toute réunion ou tout rassemblement organisés par ses membres et de fermer tous les locaux appartenant à ce parti ou gérés par lui ». C'est « dans le souci de préserver l'intérêt suprême de la nation et d'éviter toute violation de la loi », explique le communiqué de l'Intérieur. « C'est une erreur monumentale », affirment les RCDistes, refusant de voir leur parti payer parce que son président est un « corrompu ». Motifs de la dissolution de parti qui se targue d'avoir 2 millions d'adhérents dans un pays de 10 millions d'habitants : les dernières flambées de violence enregistrées dans le pays. Notamment à El Kef, dans le nord, Gafsa, dans le centre et à Sidi Bouzid. Deux explications sont avancées pour expliquer ces débordements que d'aucuns ont cru appartenir au passé. Celle du gouvernement d'abord. Pour Ghannouchi, ces débordements sont le résultat d'« un complot rampant » des partisans de Ben Ali. Son ministre de l'Intérieur accuse le RCD de payer des jeunes pour répandre le chaos et reprendre le pouvoir. « A-t-on arrêté des membres de ces bandes ? Ont-ils avoué être membres du RCD ou être payés par lui ? », s'interrogent les militants du RCD. Celle de l'opposition ensuite. Pour Ettajdid, ces révoltes sont une réponse des jeunes à la politique mise en place par le nouveau gouvernement. Le parti d'opposition reproche au gouvernement la désignation « sans concertation » des 24 gouverneurs « issus pour la plupart du RCD ». Une troisième explication pourrait être avancée. Si nombre des cadres du RCD sont encore dans les administrations et la police, il est aussi vrai que ce parti est le seul à avoir des structures partout dans le pays, et donc à même de rafler la mise lors des législatives prévues dans six mois. Comme pour répondre à cette « crainte » et à la révolte continue des jeunes, le Premier ministre annonce son intention de donner un coup d'accélérateur aux réformes économiques et politiques. Il a demandé, hier, aux 195 députés présents qu'il a réunis pour la première fois depuis la chute de Ben Ali, d'adopter une loi qui permettrait au président intérimaire Foued Mebazaa, de gouverner par décrets-lois. « Conformément à l'article 28 de la Constitution », leur dit-il. C'est pour « éviter les blocages des textes qui doivent normalement être discutés au Parlement dont les élus sont à 80% issus du parti de Ben Ali », dit-il révélant qu'« il y a des personnes qui veulent faire revenir la Tunisie en arrière ». Après le « oui » d'hier à ce « projet de loi portant habilitation du président de la République par intérim à prendre des décrets-lois » (sur les 195 députés présents, 177 ont voté pour et 16 contre), le Premier ministre aura-t-il le même appui demain en passant devant la chambre des représentants (Sénat) ? La dissolution du Parlement réclamée par les manifestants ne serait-elle plus au programme comme l'a laissé entendre récemment le ministère des Affaires étrangères ? Selon les Tunisiens, la révolution du 14 janvier qui a conduit à la chute de Ben Ali, a mis fin à la légitimité de cette institution et des autres organes constitutionnels.