Il fait nuit quand nous arrivons à Ouargla et la ville illuminée inonde ses murs ocres et blancs au pied desquels la foule prend le frais. Car dans ces contrées, c'est déjà la canicule qui incite la population à devenir noctambule. C'est une cité accueillante qui oppose comme un cinglant démenti à la signification même de son nom. Wargran, Ouargla en berbère, veut dire « celui qui est barricadé ». Mais avec le temps, la ville a eu tout loisir de s'ouvrir depuis jadis déjà quand la découverte de l'or noir en a fait « le cœur économique et le poumon de l'Algérie », comme disent les économistes. L'architecture de la ville est très particulière et elle se décline en cercles concentriques autour d'un centre historique que tout le monde appelle El Ksar entouré de trois quartiers principaux dont le célèbre Béni Thour (lire encadré). Les historiens justement s'en remettent à Abou Zakariya, celui-là qui construisit la plus ancienne mosquée d'Ouargla et qui atteste formellement que la ville a été édifiée au Moyen Age par les Ath Ouaergla, les Maghraouas et les Ath Ifren qui sont des frères. Des autochtones berbères auxquels sont venus s'ajouter des tribus arabes dont les Mekhadma et les Chaâmba, nomades qui se sont sédentarisés. En son temps, Ouargla a été un grand royaume berbère qui a rayonné sur toute l'Afrique du Nord et plusieurs savants musulmans y ont vécu. Ouargla, c'est la ville aux très nombreuses oasis et le nombre de palmiers dépasse le million, par la grâce de grandes ressources hydriques puisque le sous-sol contient d'inépuisables nappes exploitées par des puits de 60 m. Ce qui donne aussi une activité agricole variée et ici on cultive du raisin, des olives et des légumes d'excellente qualité. Mais il n'y a pas que l'eau qui constitue la richesse d'Ouargla : le pétrole en a fait la ville la plus riche d'Algérie. Ouargla possède aussi une autre face qui n'a rien à voir avec l'or noir, une face pleine d'attrait et qui est susceptible de la projeter parmi les sites nationaux touristiques les plus prisés. En effet, la wilaya d'Ouargla comprend de nombreux ksour comme autant de richesses archéologiques et historiques disséminées dans les régions d'Oued Mya, Oued-Rig ainsi que de nombreux autres sites. Régulièrement, des groupes d'études composés d'archéologues, d'architectes et d'historiens explorent les ksour et leurs histoires. Il existe même une caravane du nom de « Les ksour racontent », constituée d'éminents spécialistes qui décortiquent scrupuleusement l'histoire de ces bâtisses dont des traces de vie témoignent d'une existence qui remonte au Xe siècle. L'un des ksours qui suscite le plus d'intérêt est incontestablement le ksar de Mestaoua à Touggourt qui, à l'instar, d'autres précieux vestiges, subit les aléas du temps ainsi qu'une dégradation visible. D'où l'urgence de sauvegarder ce patrimoine inestimable par des opérations d'entretien confiées à des mains expertes. Une des autres curiosités de la ville est sans conteste le souk, immense marché où le visiteur peut acheter tout ce qui se rapporte au riche artisanat local, entre dinanderie, tapis en poil de chèvre, broderie, djellaba, chaussures en cuir véritable... et plonger dans une ambiance festive au son du tambourin faisant danser les saltimbanques au milieu d'une foule généreuse qui donne la pièce. C'est là, au milieu de ce monde bigarré et joyeux que nous avons rencontré Halim, un vieux compagnon d'université dans ces lointaines années 70 où les études de sociologie faisaient autorité. Halim a passé toute sa carrière à Hassi Messaoud, cet eldorado annexé à la wilaya d'Ouargla. C'était l'époque bénie où la Sonatrach recrutait les jeunes universitaires avec prime d'installation et logement assuré. Aujourd'hui, paisible retraité et grand-père comblé, Halim passe son temps à « cultiver son jardin » et à s'adonner à sa drogue favorite, les interminables parties de belote avec ses congénères. « On va aller manger un vrai mardoud à l'occasion de la naissance de mon petit-fils », nous annonce fièrement Halim. Et ce fut fait. Un souvenir culinaire impérissable et délicieux. El Mardoud, c'est du couscous de gros calibre baignant dans une sauce tomate légèrement piquante, fortement épicée et servie avec de gros morceaux de viande de mouton séchée qu'on appelle aussi « el mkhelaâ ». La tradition veut que ce repas soit un signe de bon augure accompagnant la naissance d'un nouveau-né. On se sent tellement bien et tellement lourd que la visite à Touggourt est reportée à plus tard.