A la question toute simple : « quel comédien algérien connaissez-vous ? », la première personne abordée dans la rue citera à brûle-pourpoint, dans l'ordre ou le désordre, l'inspecteur Tahar et son acolyte l'apprenti, Rouiched ou Sid Ali Kouiret. Il s'en trouvera même qui mimeront telle scène de « L'opium ou le bâton », de « Hassen Taxi » ou les répliques de Rouiched dans l'un ou l'autre ont marqué les esprits. D'autres se rappelleront, comme s'il s'agissait de leurs propres souvenirs, d'une bribe des dialogues du « Clandestin » ou des gestes de Brahim Hadjadj incarnant Ali La Pointe dans « La bataille d'Alger ». La tirade finale de Slimane Benaïssa dans « Babor Ghraq » est restée mémorable. Qui a oublié les situations burlesques où se sont retrouvés l'inspecteur Tahar et son apprenti à Sidi Fredj puis à Tunis ? Qui de nos jeunes comédiens peut prétendre à la notoriété d'un Hassen El Hassani ou d'un Athmane Ariouet ? Qui, parmi eux, nous fera oublier la bouille de Mustapha Al Anka ? Quelle comédienne, sortie ou pas de l'Inadc, peut supplanter Fatiha Berber ou Keltoum ? Il y a quelques années encore, Rachid Farès, Fellag ou Biyouna faisaient tourner la tête des passants. Momo était un personnage de la ville où le cinéma faisait partie des habitudes sociales. Ils sont désormais nombreux à jouer au TNA, dans les théâtres régionaux sans que nul ne retienne une prestation exceptionnelle. Hormis quelques têtes, souvent dans le registre de la comédie (Djemai, Hadj Lakhdar, Bakhta...), d'aucuns peinent à mettre un nom sur un visage d'acteur. Si la télévision a toujours amplifié la présence d'un comédien, la vitalité du théâtre algérien du temps des Alloula, Sonia, Medjoubi, Sirat Boumediene, Agoumi, gardait encore un pouvoir de rayonnement. Il a préservé ces derniers de l'anonymat. Les réseaux sociaux, la parole débridée sur la scène politique n'avaient pas encore entamé la force de la parole et sa valeur. Les conflits sociaux trouvaient leur prolongement sur les planches. L'inattention pour les comédiens et metteurs en scène trouve une de ses raisons dans l'expression artistique qui fait en quelque sorte de nos comédiens mais pas seulement « des objets jetables ». Nul d'entre eux n'a construit sur la longue un personnage, marque d'identification. Ils y a pourtant de jeunes talents qui sont distribués dans les films ou des pièces récentes et qui ont admirablement joué leur rôle. Le nom de Khaled Benaïssa, en dehors du cercle des initiés, fera davantage penser au dramaturge qu'à son fils. Cette discrétion paraît avoir une autre source. Les artistes algériens sont victimes d'abord de la dépréciation du rôle et de la place du comédien dans la société. Chez les jeunes, celui-ci fait désormais moins rêver que le footballeur, voire « le harag » ou le détenteur d'une « chkara ». On emprunte davantage sa dégaine à ces derniers qu'au dramaturge ou au cinéaste que les défaillances de la diffusion éloignent du grand public. Avec l'intrusion dans les foyers de vedettes arabes ou occidentales, l'acteur ou le chanteur algérien souffre aussi d'une comparaison à son détriment. Beaucoup de jeunes sont au fait des frasques des vedettes de la pop music et suivent d'un œil distrait, sinon sans nul intérêt, la scène culturelle dans leur propre pays. Il faut sans doute y voir aussi l'effet d'un décalage flagrant. Les œuvres d'antan ont reflété une Algérie où les difficultés côtoyaient encore l'utopie, une certaine poésie de la vie. La plupart des secondes, déjà mal diffusées, sont « des bricoles commerciales » qui se contournent par télécommande.