La ville est nichée dans le creux d'une vallée verdoyante et donne cette quiète impression qu'il fait bon y vivre. C'est l'été et de larges tâches de verdure persistent à défier la canicule. Tissemsilt est la ville des extrêmes : torride en juillet et terriblement froide en janvier. Arrivés en milieu d'après-midi, nous avons vite de nous intégrer dans la foule de jeûneurs qui déambulent d'entre les étals des marchés. Nous sommes vendredi et peinons à nous frayer un chemin dans ces longues processions de clients et de badauds qui « tuent » le temps en attendant l'Iftar. Les ruelles du marché sentent la coriandre, la menthe fraîche et le pain maison. Nous reportons nos envies à plus tard. Ce n'est pas l'heure, et de plus Moussa, le correspondant du journal, nous attend dans la pâtisserie familiale. Il est là derrière le comptoir, occupé à servir les clients. Il a pris de l'âge et de la bedaine depuis notre dernière rencontre, mais il a gardé intactes sa bonhomie naturelle et cette manière d'accompagner ses phrases d'un guttural éclat de rire. Il nous propose des chaises mais on préfère déposer nos bagages dans l'arrière-boutique et partir en reconnaissance dans cette ville si accueillante. C'est au IVe siècle avant J.-C. que fut fondée Tissemsilt qui passa sous le contrôle du royaume jusqu'à la chute de Jugurtha en l'an 105, date de la conquête des Romains qui lui donneront le nom de Columnata, pour en faire une garnison militaire où les légionnaires veilleront au contrôle de la production agricole, des céréales, des légumes secs, des olives, du raisin et aussi du bois de cèdre fourni par la forêt avoisinante. Depuis, la ville a traversé les siècles, retrouvant son nom d'origine (Tissemsilt veut dire « coucher de soleil »), puis s'appelant Vialar durant la période coloniale pour enfin redevenir définitivement Tissemsilt à l'Indépendance. Le temps et les civilisations passent mais les produits locaux restent et sont là présents à profusion sur les étals du marché. La ville, nous dit-on, se divise en deux parties, l'ancien village européen (ou colonial) appelé aussi quartier espagnol, et le quartier « arabe » appelé Derb. Vestiges de tous les occupants qui ont prétendu posséder la ville et qui ont fini par céder à l'autre occupant plus fort. A Tissemsilt comme dans toute l'Algérie, on a vu se succéder les Romains, les Espagnols, les Turcs et les Français, jusqu'à ce que ces derniers furent chassés manu militari par la lutte de Libération nationale. A l'instar de toutes les régions d'Algérie, Tissemsilt perdit son identité en 1860 et s'appela Vialar jusqu'à l'Indépendance. Alors la ville entama sa longue période de reconstruction typiquement à vocation agricole. Elle a quand même subi les exodes successifs et sa production de céréales, légumes secs, raisin et d'olives, est en deçà des énormes potentialités de toute la région. Comme pour le reste du pays, sans doute une histoire de stratégie agricole qu'on peine à réaliser. L'autre atout de la ville et ses alentours, ce sont sans doute ces sites et monuments inégalables et qui ne sont hélas pas assez valorisés ni entretenus pour attirer le visiteur. Le parc national de cèdres de Theniet El Had, le parc régional d'Aïn Antar (lire encadré), la station thermale de Sidi Slimane, autant de lieux-dits qui laissent médusés par leur beauté. Pour le moment, ce sont des endroits de villégiature pour les familles qui viennent y chercher quelque fraîcheur en ces chaudes soirées de Ramadhan. Le parc de Theniet El Had aurait été un lieu très prisé s'il avait été mis en valeur. C'est une gigantesque forêt de cèdres qu'on a laissée en l'état, hormis quelques marchands ambulants qui vendent leurs marchandises aux visiteurs, contribuant surtout à énormément polluer l'environnement. C'est pourtant le site idéal pour les randonnées pédestres, cette nouvelle forme de tourisme très prisée par les « seniors » (personnes du troisième âge). Mais Theniet El Had manque cruellement d'infrastructures d'accueil, ne serait que quelques gîtes avec chambres d'hôtes. Nous en sommes loin... La ville commence à se vider car c'est bientôt l'heure de l'Iftar. Moussa nous attend au seuil de la pâtisserie. Il tient une grande boîte de douceurs. « Tu vas manger les meilleurs mille-feuilles de ta vie », me dit-il avec son air jovial. Et nous nous engouffrons dans sa voiture, direction la chorba. Et tout le reste.