Le vent de changement qui a mis fin à l'ère despotique de Ben Ali a consacré l'émergence de la nouvelle Tunisie maîtresse de son destin, portée par l'élan démocratique et attachée aux valeurs de liberté, de laïcité et de respect de la souveraineté. Pas plus que l'épouvantail islamiste ou les tendances à l'intolérance, caractérisées par les atteintes à la liberté religieuse (attaque des synagogues, meurtre d'un prêtre polonais), la construction démocratique ne peut se satisfaire des soubresauts d'une transition revue et corrigée. Suffisant ? « Nous sommes contre l'Etat de Ghannouchi parce que notre révolution n'a abouti à rien avec ce Ghannouchi, cette équipe de Ben Ali n'a rien changé. Le RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique) existe toujours même s'ils ont promis de le dissoudre après sa suspension. C'est du bluff », juge l'enseignante Samia Mahfoud. Le sentiment de frustration est ressenti par la rue. Depuis, hier, les manifestants sont de retour. Quelques milliers de Tunisiens ont manifesté à Tunis pour réclamer la démission du gouvernement de transition et l'élection d'une assemblée constituante et un système parlementaire. Sur un air de liberté arrachée de longue lutte, la nouvelle Tunisie solde ses comptes avec l'ancienne puissance coloniale. Entre le mea culpa de Sarkozy, cautionnant les dérives de son protégé en matière de violations des droits de l'homme, et le ralliement tardif à la « révolution de jasmin », la discorde franco-tunisienne nécessite une mise à niveau des relations fortement perturbées. Après l'intermède contesté de la ministre des Affaires étrangères, Michelle Alliot-Marie, l'arrivée mouvementée du nouvel ambassadeur, Boris Boillon, qui se devait d'inaugurer « une nouvelle page » et une « autre approche », est significative de la persistance du malaise. Il a été accueilli par la formule frondeuse de « dégage Boillon » pour protester contre les dérapages du nouvel ambassadeur français, qualifiant de « débiles » ou de « n'importe quoi » les questions des journalistes tunisiens portant sur les propos de Michelle Alliot-Marie ou sur son manque d'expérience. C'est cette nouvelle Tunisie, décidée à prendre en main ses destinées, qui exige de la France d'être traitée sur un pied d'égalité pour tourner définitivement la page du paternalisme et des tendances néocoloniales.