Qu'en est-il, en revanche, de Tazrouk, qui regorge d'autant de richesses ? Niché à quelque 300 km au nord-est de la ville de Tamanrasset, le village culmine à 1.900 mètres d'altitude. C'est, dit-on, la commune la plus haute du pays. Peu connu des touristes, rarement mentionné dans les carnets de voyage, ce petit bout de terre verte, tapie au milieu des rocs, a pourtant de quoi faire saliver les amoureux de l'aventure. Et pas que. Sa nature luxuriante, donnant lieu à une profusion de systèmes écologiques, en fait une terre fertile qui alimente, en produits agricoles abondants, toute la région de l'Ahaggar. Cette richesse ne semble pas échapper aux pouvoirs publics, plus que jamais décidés à rendre également au tourisme saharien son lustre d'antan en mettant en avant sa double dimension naturelle et culturelle. C'est la raison pour laquelle d'ailleurs, la ville a abrité, les 29 et 30 octobre derniers, un atelier scientifique visant à mettre en place « une stratégie de base pour le développement dans le tourisme national dans sa dimension écologique et culturelle » à travers les cinq parcs culturels nationaux (l'Ahaggar, le Tassili N'Ajjer, l'Atlas saharien, le Touat et le Gourara et enfin Tindouf). Le programme, rappelle-t-on, figure parmi les chantiers du grand projet de « conservation de la biodiversité d'intérêt mondial et utilisation durable des services écosystémiques dans les parcs culturels en Algérie » d'une valeur de 25 millions de dollars. Il s'agit d'une grosse entreprise chapeautée et financéé conjointement par le gouvernement et le Fonds mondial pour l'environnement (FEM), représenté par le Programme des Nations unies pour le développement. Ce dernier contribuera à hauteur de 5 millions de dollars alors que la part des pouvoirs publics est estimée à 20 millions sous forme de programmes d'action. Un gros défi porté à bout de bras par la direction nationale du programme qui réunit, sous l'égide de son premier responsable, Salah Amokrane, un panel d'experts de haute facture, en biodiversité et en tourisme. Consciente de la portée multiforme d'une pareille initiative, l'équipe dirigeante entend réunir ces derniers et l'ensemble des acteurs locaux, « pièces maîtresses » de la réussite du programme. « A Tazrouk, et dans les villages avoisinants, l'agriculture y est abondante. On cultive le figuier, l'abricot, le raisin, les dattes, la grenade, l'aubergine, la carotte, le navet, le piment, la tomate... », soutient Aïssa Benguerfi, professeur à l'Ecole nationale supérieure d'agronomie (ex-Ina). « Les terres fertiles de la région produisent plusieurs espèces de plantes, aromatiques et médicinales notamment, coriandre, persil, fenugrec... La région est aussi riche en potentialités faunistiques à travers l'élevage ovin et caprin, doublé, de toute évidence, par la riche production cameline », explique-t-il. L'eau y est abondante, aidant grandement à la culture du blé local, l'orge et le mil... Initié en 1865 par l'Aménokal Hadj Bekri — qui s'est inspiré du savoir-faire du Touat - Tazrouk a gardé intacte sa vocation agricole. Elle couvre, à elle seule, les besoins de larges parties sahariennes. Ses producteurs s'aventurent même jusqu'à l'Atlas tellien. « L'agriculture pratiquée ici est bio. Elle est faite de manière traditionnelle », se réjouit l'universitaire. Arts rupestres et artisanat L'occasion a été donnée à l'équipe scientifique de découvrir les villages avoisinants, tout aussi luxuriants les uns que les autres. A l'image d'Idelès, réputée pour sa grande oasis mais aussi pour sa culture immémoriale. Le village d'Hirafok est aussi une grande place culturelle de l'Ahaggar. L'artisanat y est largement répandu et les maîtres artisans - « mâalmin » - foisonnent. On y fabrique divers objets décoratifs et autres ustensiles témoignant de la richesse du patrimoine matériel et immatériel des Kel Ahaggar. Poète célèbre, accompagnant les grandes joueuses de l'Imzad, cheïkh Mohamed Adjla dirige une association jouant un rôle avant-gardiste dans la défense de la culture locale. Ses produits artisanaux sont très prisés et pas seulement à Tamanrasset. L'escale chez le grand barde n'a pas duré. L'heure est venue pour les convives de bifurquer vers Hirafok et de découvrir les fameuses gravures rupestres. Plusieurs fresques ornent les façades de gigantesques rochers clairsemés à la sortie de la petite ville. L'une d'entre elles représente une scène de chasse du célèbre mouflon du Sahara. « Cette gravure date de l'époque cabaline, estimée à 2.000 ans », explique Salah Amokrane, en sa qualité d'archéologue. Selon lui, la chasse dans l'Ahaggar est très ancienne. La valeur inestimable de l'art rupestre dans la région devrait, soutient-il, servir au développement du tourisme, national notamment. « Il faut sensibiliser les opérateurs touristiques, les guides en premier lieu, sur l'importance de l'art rupestre aux yeux des touristes », suggère l'archéologue en appelant à inventorier toutes les gravures du parc de l'Ahaggar en vue d'une meilleure exploitation. L'appel de Amokrane s'inscrit, en effet, dans le cadre des recommandations proposées à l'issue des travaux de l'atelier scientifique. Deux projets y ont été retenus : l'un concernant les villages et jardins de l'Ahaggar regroupant, entre autres, Tazrouk, Taberbert, Idelès, Hirafok, Tefedest, Tit... Le second est relatif au patrimoine du site de Tihoudaine dans le parc du Tassili N'Ajjer. Experts, universitaires, autorités locales et représentants de différentes institutions nationales et internationales ont convenu d'un nombre de mesures dans l'espoir d'insuffler une nouvelle dynamique au tourisme culturel et écologique dont profiteraient d'abord les nationaux. Il s'agit, préconisent-ils, d'intégrer le patrimoine culturel et naturel comme une source de revenu pour l'amélioration du niveau de vie de la population locale. Ils ont appelé à la mise en place d'un cadre opérationnel pour faciliter la démarche de l'hébergement chez l'habitant en se basant sur la coordination entre trois acteurs principaux : le chef de village, l'Office national du parc culturel et les tour-operators. Les représentants des ateliers ont suggéré également de créer des points d'information touristiques, qui doivent être actualisés au fur et à mesure par l'office local du tourisme et devenir accessibles à tous les opérateurs du tourisme. L'organisation de rencontres réunissant l'ensemble des acteurs liés directement à la valorisation des produits agricoles et de l'artisanat a été prônée. Il s'agit de déterminer les modalités d'identification des artisans et des agriculteurs à intégrer dans le cadre de la valorisation des produits agricoles et de l'artisanat traditionnel. Il s'agit aussi d'inscrire dans le cadre des activités du projet les expertises concernant certaines opérations, notamment celles liées aux études technico-financières de l'hébergement chez l'habitant et la mise en conformité des produits artisanaux par rapport à la demande du marché (formes, packaging...), ainsi que la création et la mise en place de nouveaux ateliers valorisant les produits du terroir. Parmi les recommandations retenues, figure aussi le soutien aux efforts entrepris par le ministère du Tourisme et de l'Artisanat en matière de techniques d'hébergement et d'amélioration des produits artisanaux locaux. Le mouvement associatif n'est pas en reste, puisque c'est sur ses capacités que ces efforts viendront s'appuyer, notamment au sujet des produits artisanaux locaux destinés à l'équipement des structures d'hébergement. L'idée d'un cahier des charges relatif à l'écotourisme a été fortement soulignée ainsi qu'un programme de renforcement des capacités sur les techniques d'accueil. Quant à la promotion médiatique, les experts ont proposé de tenir un workshop pour les journalistes des différents médias au sujet du tourisme dans les parcs culturels algériens.