Paru pour la première fois en 1983, le livre, fruit d'une thèse de doctorat, se présente d'abord comme le résultat d'une recherche universitaire patiente, fourmillant de détails et de notes de renvoi comme il sied au genre. L'auteur a longtemps écumé les archives algérienne et française où il a consulté à la loupe de vieilles collections de journaux, tant en langue arabe que française. Ces publications au tirage réduit, ne dépassant jamais les 5.000 exemplaires, forment la presse « indigène », par opposition à la presse coloniale. « L'étude n'est pas apologétique ; elle tente de faire revivre les passions qui ont soulevé des générations d'Algériens pour qui la seule issue envisageable pour sortir de leur ghetto était de se proclamer français », note l'auteur. C'est tout le contexte politique de l'entre-deux-guerres marqué par des débats sur la naturalisation, les droits des Algériens soumis au code de l'indigénat, la conscription qui se dévoile au fil des pages. Le livre rappelle le processus de naissance entamé dès les premières années qui ont suivi la conquête coloniale et les objectifs de ceux qui en sont à l'origine. L'étude s'achève en 1930. La naissance en novembre de cette année de la presse nationaliste, à travers El Oumma, lancée à Paris par l'Etoile nord-africaine, allait inaugurer une nouvelle étape. Auparavant, la cinquantaine de titres qu'il présente reflètent les tensions politiques, les attentes de l'élite qui commençait à se former au début du siècle, ses espoirs et ses contradictions. On découvre des hommes comme Omar Racim, Kaïd Hamoud, Omar Ben Kaddour, Ben Badis, qui ont écrit ou dirigé ces journaux et l'écho qu'ils avaient. Cette presse en butte à des difficultés dont l'auteur explique la nature a une valeur. Dans l'introduction, il fait remarquer qu'elle est « l'unique source qui apporte l'interprétation des événements historiques selon le point de vue indigène ». Ce dernier n'était nullement uniforme. Les assimilationnistes, les défenseurs de l'Islam et les Européens « indigénophiles » partisans d'une informe association comme Barrucand, le « patron » d'El Akhbar côtoient les partisans de l'administration coloniale. Une époque pleine d'attentes Ce sont à toutes ces tendances, leurs hommes et leurs procédés auxquels s'intéresse le professeur. Il s'attarde beaucoup sur des publications importantes comme « l'Ikdam » de l'émir Khaled, petit-fils de l'émir Abdelkader, « la voix des humbles », de l'association des instituteurs indigènes ou les publications de l'association des oulémas comme l'éphémère « El Mountaqid », remplacé par Echihab. Il n'omettra pas les journaux de moindre importance paraissant dans des villes de l'intérieur comme Biskra, Annaba ou Mostaganem ou encore dans le M'zab. Au-delà de la genèse de la presse, de son évolution, des difficultés et des pressions qu'elle subit, le livre est un miroir de la vie sociale et politique d'une époque pleine de toutes les attentes. On se prend à rêver à une recherche aussi complète et fouillée sur la presse née après l'indépendance. Pour le moment, celle-ci n'a pas bénéficié d'un intérêt similaire. Même si Zahir Ihadadene y a également consacré un livre, le sujet est loin d'être épuisé. R. Hammoudi *Histoire de la presse indigène en Algérie, des origines jusqu'à 1930. Anep Editions - 415 pages