Dans un hommage, hier, au forum d'El Moudjahid, à l'occasion du 55e anniversaire de sa mort, le chercheur en histoire et écrivain, Amar Belkhodja, a relevé l'apport de Frantz Fanon à la Révolution algérienne mais également à la psychiatrie. « Il a introduit à l'hôpital psychiatrique de Blida, où il était médecin-chef, de nouvelles méthodes de thérapie qui prennent en compte la culture sociale des patients. Il s'employait à créer l'environnement social et culturel des malades algériens. Il mettait, par exemple, une salle de prières à leur disposition, dans un décor qui leur était familier », rapporte-t-il. L'artiste interprète algérien Abderrahmane Azizi, signale-t-il, l'assistait dans sa thérapie en animant des concerts de musique au sein de l'hôpital. « Ces méthodes étonnaient ses confrères français. Frantz Fanon était partisan d'une insertion progressive des malades », note-t-il, précisant que le psychiatre a aboli les chaînes qui emprisonnaient les malades algériens. « Durant l'année où il exerçait à l'hôpital de Blida en 1952, il percevait les séquelles mentales et physiques du colonialisme sur ses patients. Il en était scandalisé », dit-il. En 1954, la guerre d'Algérie éclate. Il embrase aussitôt la cause algérienne et s'engage auprès de la résistance nationale. En 1956, il présente sa démission au général Lacoste, connu pour son « penchant » pour la violence et la torture. « Cette lettre de démission mérite qu'on se penche dessus d'une façon scientifique. Qu'on l'analyse, qu'on l'étudie », soutient le conférencier avant de citer quelques extraits de cette lettre. « Que sert l'enthousiasme si la réalité est tissée de mensonges ? De lâcheté et du mépris de l'homme ? Je mesure avec effroi l'ampleur de l'aliénation des habitants de ce pays », disait le psychiatre dans sa lettre. Suite à sa démission, il fut expulsé de l'Algérie et a tout de suite rejoint les militants algériens à Tunis pour gérer, entre autres, le journal El Moudjahid, aux côtés d'Abane Ramdane et Réda Malek. « En 1952, il a écrit son premier ouvrage, ‘‘ Peau noire, masques blancs'', où il évoque le racisme. D'ailleurs, pour lui, le racisme, c'est l'un des moteurs du colonialisme », indique-t-il. Dans ce contexte, il a cité une anecdote que Frantz Fanon avait racontée à l'acteur et poète Himoud Brahimi, dit « Momo ». « Momo a eu la chance de le rencontrer à La Casbah. Un jour, Frantz Fanon lui raconte qu'il a été interpellé par une patrouille coloniale alors qu'il conduisait sa voiture. L'agent, en percevant sa couleur de peau, s'était adressé à lui en le tutoyant, affichant ainsi une réaction bien raciste. Frantz Fanon s'était adressé à lui en tant que psychiatre : ‘‘J'ai peur de la peur que je vois dans vos yeux.'' Ce qui a déconcerté l'agent qui s'était confondu en excuses quand il avait compris qu'il avait affaire à un médecin de nationalité française », évoque-t-il. Le psychiatre a créé, à la demande des révolutionnaires algériens, un hôpital près d'Oujda, pour développer des cures de sommeil au profit des agents des transmissions surtout, qui travaillaient jour et nuit. Il a échappé à plusieurs tentatives d'assassinat, selon le conférencier, surtout quand il a été transféré en Italie, après un accident de la route. Il a été nommé ambassadeur du GPRA au Ghana pour faire connaître la cause algérienne. « En 1961, il commença la rédaction de son ouvrage ‘‘Les Damnés de la Terre'', sorti quelque temps avant sa mort. Ses œuvres méritent d'être étudiées dans les universités. Une analyse, une relecture. Fanon avait un double rêve : l'indépendance de l'Algérie et l'unification de l'Afrique », estime Belkhodja avant de conclure son intervention par une citation de Momo : « Lui, Frantz Fanon, homme grand et comme tous les grands, il donne sans attendre de récompense. Ne dit-on pas que la grandeur est dans l'acte qui donne ? »