Né à Constantine en 1928, Mohamed Tahar Fergani a eu une carrière artistique de plus de 70 ans. Issu d'une famille de musiciens dont le père, cheïkh Hammou, est musicien et compositeur de hawzi. Très jeune, Mohamed Tahar est initié à la musique, jouant la flûte et intègrant la troupe moderne conduite par le musicien Missoum. Il séjourne alors à Alger avant de revenir au bercail où il rejoignit l'association « Le lever de l'aurore », dirigée par Mohamed Dardour. Par la suite, il complétera son apprentissage aux côtés de Si Hsouna Ali-Khodja et Baba Abeid Kara Baghli. Aux premières années de l'indépendance, Mohamed Tahar Fergani ne tardera pas à se frayer un chemin dans la musique malouf. Très vite on lui reconnaît un style, une nouvelle façon de jouer le violon, un charisme rare et surtout une voix inimitable. Le mérite d'El Hadj Fergani est d'avoir également dépoussiéré le malouf, en lui apportant une certaine fraîcheur, et contribué grandement à le faire connaître au public algérien et étranger. « El Boughi », « Ya Dalma », « Galou Laaarab Galou », autant de qacidate magistralement interprétées. Il y apporte sa touche personnelle, leur insufflant une véritable âme et une énergie. Le nom Fergani devient alors emblématique et est définitivement rattaché à cette musique durant les fêtes de mariage ou les festivals nationaux. Une icône, un repère Violoniste aux mains magiques, Fergani collaborera avec des dizaines d'artistes locaux et nationaux. Dans son livre, « Dictionnaire des musiques citadines de Constantine », Abdelmadjid Merdaci écrit : « Sa qualité vocale, ses facultés d'assimilation et ses aptitudes techniques (maîtrise de plusieurs instruments), l'imposent très vite sur la scène musicale constantinoise. » Ceux qui l'ont côtoyé de près ou de loin, se souviennent d'une personne simple et généreuse envers les artistes, un chevronné et un visionnaire, et plus encore un amoureux de la musique andalouse qui n'a chanté que la poésie durant toute sa carrière. Le jeune artiste, Abbas Righi, est affecté : « Nous sommes extrêmement tristes, car l'Algérie — particulièrement la ville de Constantine — a perdu une des figures emblématiques du malouf, laquelle a légué un immense héritage au patrimoine musical national et universel, et tous les artistes malouf, depuis les années 60, doivent beaucoup à cette véritable école », a-t-il confié. Un autre artiste connu de la scène locale du malouf est également très touché par cette disparition. Pour Toufik Touati : « La scène musicale algérienne a perdu un grand artiste et un des cheikhs du malouf. Je voudrais présenter à sa famille mes sincères condoléances. » De son côté, Khaled Aïmeur considère que « c'est une icône est le repère de la ville. La preuve est que la maison du défunt voit défiler, depuis mercredi, des citoyens de tous les coins du pays. » Un immense vide Mohamed Tahar Fergani laissera un immense héritage musical, des dizaines d'albums, des souvenirs impérissables pour la population constantinoise. « Sur le plan local, l'influence de Fergani marque profondément les jeunes générations... Un style et un système Fergani se mettent en place : l'imitation et l'allégeance deviennent les modes d'intégration dans le champ musical... Directement ou indirectement, le champ musical constantinois se restructure par rapport à la personnalité et aux influences multiples de Fergani... Figure centrale du professionnalisme en matière culturelle, son empreinte sur la musique demeure jusqu'alors sans précédent », ajoute Abdelmadjid Merdaci dans son livre. Hier, Constantine a rendu un dernier hommage à son maître. Sa dépouille mortelle a été exposée au Palais de la culture Malek-Haddad. Aux côtés des officiels, dont le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, le ministre de la Culture, Azzedine Mihoubi, la famille et les proches du défunt, les artistes et les personnalités de la ville, des centaines d'anonymes sont venus se recueillir auprès de celui qui a marqué des générations entières et laisse désormais un immense vide. Constantine dit adieu à celui qui l'a chantée et qui l'a toujours portée dans son cœur. L'Algérie, après avoir perdu le grand Amar Ezzahi, enterre un autre monument de son patrimoine.