En annonçant le lancement de son service de stockage de fichiers musicaux Cloud Player, Amazon relance la polémique et remet à l'ordre du jour la question de la limite de la copie privée. Alors que les grands opérateurs de l'Internet se préparaient en catimini à lancer de nouveaux services de distribution musicale sur le net, le site de commerce de détail Amazone, sans crier gare, annonce fin mars dernier, qu'il met en service son nouveau Cloud Player. Les sociétés détentrices de droits musicaux, dans la gêne, confinées au silence au départ, ont vite réagi, pour dénoncer ce qu'elles considèrent comme un service forcément soumis à licence. Amazon a ainsi pris les devants face à Google et Apple en lançant le 23 mars,son service de stockage et de lecture de données dans le cloud Amazon Cloud Drive. Avec Amazon Cloud Drive, le géant américain veut amener ses clients à stocker de la musique, des vidéos, des documents et des photos en toute sécurité sur son service de stockage en ligne depuis de nombreux appareils numériques et autres sources. Une stratégie qui évite au client de se lier pieds et poings à l'offre de contenus d 'Amazon. Cette stratégie d'ouverture devrait d'autant plus séduire que le supermarché en ligne propose une offre plutôt attractive, puisqu'il offre 5 Go de stockage gratuit extensible à 20 Go pour une durée d'un an avec l'achat d'un album sur son site de e-commerce. Au-delà, les utilisateurs se verront facturer 20 dollars par an les 20 Go. Une offre tarifaire comparable à celle de MP3Tunes qui propose un service similaire à celui d'Amazon (sans les photos) depuis déjà 2005. Par ailleurs les MP3 achetés sur le site seront directement stockés et sauvegardés dans le cloud d'Amazon sans être inclus dans le quota autorisé pour le client. D'autre part, le groupe met à disposition son service à partir de tous les ordinateurs (PC et Mac) avec Cloud Player for Web mais également à partir des terminaux mobiles Android (tablettes et srnartphones) avec la création d'une application dédiée. Les experts s'attendent à voir solutionée l'absence du support de l'environnement Linux pour l'heure. Les fichiers stockés sur de nombreux appareils pourront ainsi tous être importés et regroupés directement vers la nouvelle plate-forme située dans le nuage ce qui autorisera leur lecture depuis partout. Le tout totalement sécurisé, selon Amazon. Prochainement le groupe devrait communiquer les tarifs pour le stockage de vidéos de photos et de documents, inconnus à ce jour. LES PREMIERS FRONCEMENTS DE SOURCILS Amazon a-t-il respecté les règles du jeu pour Cloud Drive, son service qui permet de stocker et d'écouter en streaming des morceaux de musique ? Pas sûr,tout au moins d'après les nronos d'un porte-parole de Sony Music rapportés par Reuters, l'éditeur serait «contrarie de la décision d'Amazon de lancer ce service sans licence pour le streaming de musique». Le porte-parole de Sony ajoute«esperer atteindre un nouvel accord», mais que la maison de disques gardait «toutes les options juridiques ouvertes». Un autre ponte de l'industrie du disque, interviewé par Reuters, anonyme cette fois, précise qu'il trouve cela «quelque peu stupéfiant» et qu'il n'avait «jamais vu une entreprise de cette taille faire une annonce, lancer un service et dire simultanément qu'elle essaie d'obtenir les licences». En effet, d'après ses propos, les maisons de disques n'auraient été prévenues que la semaine dernière, Amazon essayant depuis de régler ce problème des droits de diffusion. Il faut dire que selon un autre dirigeant proche de cette affaire, les labels n'auraient été prévenus que la semaine dernière du lancement d'Amazon Cloud Player. «Je n'ai jamais vu une société de cette envergure faire une annonce,lancer un service et dire en même temps que des licences sont en cours de négociation», explique cet anonyme à Reuters. Reste à savoir si l'impatience d'Amazon sera punie de poursuites judiciaires. Selon les dernières rumeurs, Google lancerait un service similaire en mai, suivi par Apple le mois suivant. En effet, ce lancement s'accompagne déjà d'une poursuite juridique. Le site d'information économique Bloomberg rapporte en effet que le 18 mars dernier Apple a déposé une plainte auprès d'une confédérale de Californie. La firme de Cupertino reproche à Amazon l'utilisation du terme 'App Store', dont elle détient la propriété intellectuelle depuis 2008. Elle accuse donc la firme de Jeff Bezos de contrefaçon de marque et de concurrence déloyale. Apple demande désormais à la justice américaine des dommages et intérêts mais aussi l'interdiction de l'utilisation de ce terme car il pourrait induire en erreur les consommateurs. En janvier dernier, c'est Microsoft qui avait déjà déposé un recours pour demander l'autorisation d'exploiter le terme App Store par tout le monde. La guerre des 'App Store' serait elle devenue une simple bataille sémantique ? Pas si sûr. MENACE SUR ITUNES D'APPLE Le lancement du service de stockage de musique en ligne d'Amazon Cloud Drive et les rumeurs concernant celui de Google, semblent en tout cas indiquer, de l'avis de beaucoup d'analystes, que le quasi-monopole d'Apple sur la musique en ligne pourrait prendre fin. Basé sur le «Cloud», comme son nom l'indique, le service d'Amazon permet de stocker la musique achetée sur le site marchand sur un serveur spécialisé et d'y accéder ensuite de n'importe quel appareil connecté à internet via un playertéléchargeable. L'écoute se fait alors en streaming (sans téléchargement). Deezeret Mspot proposent déjà un service similaire. Le Cloud représente un avantage très net par rapport à iTunes, la plate-forme d'Apple, qui oblige à stocker sa musique sur ses divers appareils compatibles (PC, tablette, lecteur MP3, téléphone mobile), ce qui empêche le plus souvent de les synchroniser. Si on possède, par exemple, 80 Go de musique sur son PC, il sera difficile de les rapatrier sur son iPad (qui n'a que 64 Go de stockage maximum) et encore plus sur son iPhone de 16 ou 32 Go. Cela oblige à désactiver la fonction de synchronisation d'iTunes et à importer manuellement sur chaque appareil une sélection différente des musiques stockées sur son ordinateur. C'est l'un des nombreux défauts d'iTunes, qui n'a pas vraiment évolué depuis son lancement et dont même les fans d'Apple les plus fervents commencent à se lasser. En stockant sa musique sur le Cloud, elle devient disponible sur tous ses appareils, quelle que soit la taille de la bibliothèque. A condition, toutefois, d'être connecté à Internet et que la synchro fonctionne correctement, ce qui n'est pas toujours le cas. Il y a aussi la question du coût : le Cloud Drive d' Amazon est gratuit jusqu'à 5 Go, mais payant au-delà (20 dollars par an pour 20 Go, 50 dollars pour 50 Go...). En outre, il ne permet apparemment de stocker que les titres nouvellement achetés, mais pas les anciens. Celui de Deezer n'est accessible qu'aux abonnés Premium (9,99 e/mois). Google Music, dont le lancement est annoncé comme imminent depuis des mois, devrait être plus accueillant (stockage gratuit et illimité ?) et pourrait également faire baisser les prix du téléchargement légal. Dans ces conditions, ce pourrait effectivement être un vrai début de fin du monopole d'Apple sur ce segment de marché d'internet.. TAISEZ-VOUS ! DIT AMAZONE Alors les majors considèrent qu'Amazon Cloud est un service de streaming musical et nécessite donc un nouvel accord de licence sur les morceaux avec des royalties supplémentaires, dans une lettre récente, Amazon indique très clairement qu'elle ne pense pas avoir «besoin d'une licence». Son Cloud serait avant tout un espace de stockage en ligne dans lequel les utilisateurs placent les morceaux qu'ils ont achetés, et il se trouve qu'ils peuvent lire ces morceaux en streaming - après tout, Dropbox fait la même chose sans que cela ne dérange personne. Donc, d'après Amazon, il n'est pas question de payer de nouvelles licences pour Cloud Drive, car il n'a rien d'un service de streaming comme Spotify ou Deezer. Cloud Drive est avant tout un service de stockage de fichiers musicaux. Fichiers que l'on peut télécharger sur son ordinateur et qui sontautomatiquement intégrés à Cloud Drive pour pouvoir les écouter d'où l'on souhaite. D'après un porte-parole d'Amazon, interrogé par Ars Technica, le site «n'a pas besoin d'une licence pour stocker de la musique sur Cloud Drive. La fonction qui permet (d'y) sauvegarder des MP3 est identique à ce qu'un consommateur ferait s'il sauvegardait sa musique sur un disque dur externe ou sur iTunes». Alors, légal ou pas légal? Peut-être juste très malin. David Pakrnan, ancien d'Apple et d'eMusic juge que le service d'Amazon est parfaitement réglo. Sur son blog, ce spécialiste de la musique en ligne note que «les utilisateurs "uploadent" sur Cloud Drive la musique qui leur appartient. Amazon isole les comptes, et les utilisateurs sont authentifiés sur leur espace de stockage pour "streamer" ou télécharger les chansons. Je suppose qu'Amazon stocke des copies individuelles de chaque chanson mise en ligne, plutôt que de n'en stocker qu'une et d'utiliser un raccourci dans chaque espace de stockage. Un tel raccourci nécessiterait des licences des détenteurs de droits et des éditeurs». De plus, comme les morceaux achetés sur l'Amazon MP3 Store ne sont pas décomptées de l'espace de stockage, les utilisateurs sont plus enclins à acheter sur la boutique d'Amazon. La société offrant quelques bonus à ceux achetant de la musique chez elle, le lancement du Cloud Player a coïncidé avec un pic de téléchargement : tout le monde devrait être content, Amazon qui gagne des clients et les majors qui gagnent de l'argent. Amazon serait donc en position de force et serait par contre prête à discuter d'accords pour ajouter des fonctions à son service. Les majors devraient donc avoir en partie ce qu'ils veulent, mais en partie seulement, une tactique intéressante de la part d'Amazon. De l'issue de ce bras de fer devrait dépendre en partie la sortie des services similaires de Google et d'Apple, qui auraient tous les deux été retardés à cause de ces problèmes de licences spécifiques.