Photo : Horizons. La courte expérience du défunt Conseil supérieur de l'information, instance de régulation créée par la loi relative à l'information de 1990, qui aura officié durant seulement deux années, de 1991 à 1993, est à nouveau revisitée par l'actualité récente du secteur de la communication appelé à vivre une nouvelle ère d'adaptations pour accompagner les réformes politiques en projet. Comme ce bébé qu'elle a enfanté, la loi sur l'information adoptée en 1990 n'a vécu, elle aussi, dans son esprit, que le même laps de temps, même si dans le texte elle est toujours en vigueur. L'architecture juridique portée par cette loi reposait en effet sur le principe de la régulation. En vue d'assurer le droit constitutionnel du citoyen à l'information, l'Etat garantit les libertés de la presse, d'expression et d'entreprise, et délègue les missions de maintien des équilibres à «une entité administrative indépendante de régulation». En octobre 1993, par décret signé du président du HCE, toutes les dispositions relatives au CSI sont abrogées. A suivre de près le débat qui prend forme, il se dégage, certes, un consensus sur la nécessité de revisiter l'arsenal juridique de la communication, mais demeurent certaines ambigüités quant à la philosophie politique et à l'architecture à insuffler à la nouvelle conception et partant à la définition des champs d'intervention de l'Etat et des partenaires sociaux, notamment la corporation des journalistes. Par la voix de Nacer Mehal, le ministre de la Communication, le gouvernement consent à la nécessité de revoir le cadre législatif, arguant notamment du fait de son anachronisme par rapport aux mutations technologiques et à l'avènement de nouveaux modes de diffusion audiovisuelle, sans, pour le moment, trop donner de détails sur la portée de cette révision. Autre voix, celle du syndicat des journalistes qui, partant du même constat, en appelle à la réhabilitation du CSI, et, entre autres, revendique le droit exclusif des journalistes de traiter des questions d'éthique et de déontologie, voire même de législation sur l'information. Dans le souci d'une redéfinition du champ législatif de la communication, le débat devrait s'élargir à l'ensemble des partenaires, notamment la corporation des éditeurs de presse jusque-là en retrait, les parlementaires et les partis politiques, et commencer par disséquer la courte expérience de l'ouverture de 1990, en évaluer la portée, en situer les forces et faiblesses pour ne pas donner l'impression d'aborder une telle problématique en commençant par faire «table rase». A NOUVEAU CONTEXTE, NOUVEAUX REPÈRES Le contexte n'est plus le même, la convergence numérique et le réseau Internet ayant fondamentalement modifié les chaînes de la création, de la production et de la diffusion de l'ensemble des industries culturelles, et fait apparaître de nouveaux acteurs, rendant la fonction de régulation sujette à de multiples interrogations sur ses champs d'application, ses acteurs et ses outils réglementaires. La rareté des fréquences radioélectriques, comme argument du pouvoir de régulation de l'Etat en matière de diffusion audiovisuelle, semble de moins en moins opposable au regard de l'explosion des opportunités de transport du signal qu'offrent notamment la télévision numérique terrestre et des nouveaux modes induits par le réseau internet vers des terminaux de plus en plus mobiles. D'autre part, traditionnellement portées par deux sous-industries complémentaires, celle des contenus et celle des équipements, l'industrie audiovisuelle est devenue, à l'instar des autres industries culturelles, une industrie de réseau ER de plateformes, avec de nouveaux acteurs prédominants ; les opérateurs des télécoms et les fournisseurs d'accès à Internet. Autre interrogation imposée par le nouveau contexte numérique, la pratique du journalisme. De nouveaux défis se profilent autant pour la corporation qui doit inventer de nouvelles façons de préserver les règles fondamentales qui ont bâti la profession de journaliste, et que le cyberjournalisme remet quotidiennement en cause, autant pour les pouvoirs publics qui doivent regarder de près les nouvelles formes de l'édition électronique de titres censés être quelque part amarrés à des balises non seulement éthiques et déontologiques mais également légales, certes pas encore facile à définir. L'heure n'est qu'aux interrogations et au questionnement et non à la remise en cause foncière du pouvoir régalien de l'Etat en matière de régulation des activités de communication, notamment audiovisuelle. Il apparaît néanmoins de moins en moins probable, sous l'effet de la numérisation de l'information et de la convergence des supports et des réseaux, de continuer à laisser «divergentes» les réglementations des médias audiovisuels avec celle des télécommunications et d'Internet. Historiquement, les problématiques de la régulation sont posées en des termes très différents. Aux Etats-Unis, premier pays à avoir instauré la fonction de régulation, le rôle de l'Etat dans la gestion de l'audiovisuel et les télécommunications étant quasi nul, tout est affaire de commerce et d'«entertainement industry». La Federal Communications Commission (Commission fédérale des communications) est une agence indépendante du gouvernement des Etats-Unis créée par le Congrès américain en 1934. Elle est chargée de réguler les télécommunications ainsi que les contenus des émissions de radio, télévisée et l'Internet. Ses commissaires sont nommés par le président des Etats-Unis. Dans l'audiovisuel, le service public n'existait pas à l'origine, il résulte à la fin des années 60, de la position dominante et des excès des networks, notamment en matière publicitaire, en revanche le câble est présent dès l'origine et les trois quarts des ménages y sont abonnés aujourd'hui. Ces différences essentielles font que le processus de déréglementation s'est posé en des termes différents : il s'agit tantôt de démembrer des entreprises trop puissantes (cas d'ATT) ou d'empêcher des fusions trop menaçantes (comme récemment celle de Worldcom-MCI avec Sprint qui aurait créé une situation dominante dans l'Internet), tantôt et le plus souvent, de modifier des lignes de démarcation entre les marchés de manière à rétablir les équilibres et les rapports de forces entres les secteurs et les acteurs de cette industrie. Ainsi pendant les années 70, il s'est agi de limiter la toute puissante des networks qui avaient 90 % de l'audience de la télévision, en multipliant les réseaux concurrents de diffusion, en soutenant l'industrie du câble et celle de la syndication, et en protégeant les studios d'Hollywood d'une trop forte emprise des networks. En 1970, avait ainsi été dressée une barrière de protection entre les networks et la production, grâce à la réglementation des réseaux de câbles «Fin-Syn» («Financial Interest and Syndication Rules»). Depuis l'affaiblissement des networks, obtenu grâce à la multiplication des chaînes sur le câble et par satellite, la FCC a pu lever progressivement ces barrières et en avril 1991, est revenue sur le «Fin-Syn», permettant les fusions acquisitions entre producteurs et réseaux. L'expérience française de régulation des médias audiovisuels, marquée par l'évolution du système de son pouvoir politique, a connu différentes étapes historiques, retracées dans une analyse des politiques de déréglementations des systèmes de communication audiovisuelle, par Pierre Musso, professeur de sciences de l'information et de la communication à l'université Rennes-II et chercheur au département de science politique de l'université Paris-I Sorbonne. La philosophie politique qui légitimait le monopole public établie après la Seconde guerre mondiale voulait que le pluralisme s'exerce au mieux dans le cadre de l'Etat républicain capable d'assurer en son sein le pluralisme des opinions. Or, l'exercice du monopole public comme monopole politique en matière d'information a convaincu du contraire. Le consensus d'après-guerre sur le monopole public fut donc brisé. La nouvelle doctrine qui s'y substitua durant les années 70-80, fut celle du pluralisme garanti par la pluralité des acteurs. Puisque l'Etat et le secteur public n'avaient pu garantir le pluralisme, c'est en multipliant les chaînes de radio et de télévision que le pluralisme serait obtenu. La nouvelle équation fut donc la suivante : «pluralisme = pluralité». La garantie du pluralisme, ce n'est plus le monopole public, mais la pluralité des acteurs privés et publics. A partir du milieu des années 80, une nouvelle problématique de la régulation émerge avec la multiplication des acteurs : celle de l'équilibre entre les secteurs privé et public. Certes le pluralisme, c'est la pluralité, mais une pluralité «équilibrée» où coexistent le secteur commercial et le secteur public. La Grande-Bretagne avec son duopole équilibré entre la BBC et ITV apparaît alors comme un «modèle» pour les pays européens. En France, durant dix années, les gouvernements successifs vont corriger les excès de leurs prédécesseurs, pour maintenir ou rétablir ce fameux équilibre : les gouvernements de droite renforceront le secteur commercial avec la loi Léotard du 30 septembre 1986, et la privatisation de TF1 ou avec la loi Carignon du 1er février 1994 en autorisant un même groupe à détenir jusqu'à 49 % du capital d'une chaîne nationale hertzienne de télévision. Inversement, les gouvernements de gauche organiseront l'unité du secteur public en créant une présidence commune de France Télévisions, puis un holding du secteur public (lois du 17 janvier 1989 et du 1er août 2000).