Le retour à l'intifadha indique que tout reste à faire. La mythique place Tahrir a renoué avec l'ambiance houleuse de la contestation populaire qui a mis fin au règne honni des Al Moubarak : tentes dressées et estrades érigées dans ce grand carrefour aux accès fermement contrôlées par des barrages tenus par les militants du 20 janvier. La nouvelle Egypte est toujours hantée par le poids du passé. «Cinq mois après la chute de Moubarak, nous devons poursuivre le mouvement», affirme Moussa Kassem, un jeune venu passer la nuit à Tahrir avec des amis. Tel est du moins le credo des protestataires décidés de maintenir la mobilisation à son paroxysme pour réussir la transition démocratique en déficit de confiance. Car, les promesses de changement de la Place Tahrir restent pour le moment évanescentes et alimentent le sentiment général que le départ de Moubarak est loin d'exprimer une volonté de rupture. Du Caire à Alexandrie, et de Suez à Charm Cheikh où Moubarak est hospitalisé, le retour à la fronde exprime un scepticisme grandissant sur la gestion contestée de l'armée de la transition en panne de réformes. C'est pourquoi, les revendications portent sur le jugement de responsables de l'ancien régime, suspectés de bénéficier de la clémence du nouveau pouvoir, et des sanctions contre les policiers accusés du meurtre de manifestants durant la révolte de janvier-février. Justice pour les victimes de la répression et épuration dans les rangs de l'Etat des symboles du régime déchu maintenu aux plus hautes fonctions, à l'image du maréchal Mohammed Hussein Tantawi, ancien ministre de la Défense de Moubarak pendant 20 ans et actuellement, chef du Conseil suprême des forces armées : un dénominateur commun des larges couches de la société et de la classe politique présentes en force à la place Tahrir intronisée en assemblée du peuple à ciel ouvert «aussi longtemps que nous n'avons pas un parlement élu», estime les organisateurs. Le retour à l'intifadha indique que tout reste à faire : une nouvelle constitution, sujet de discorde entre les Frères musulmans et les partis laïcs, et un calendrier électoral chahuté par les appels au report des législatives de septembre prochain qui seront suivies, deux mois après des présidentielles. L'enjeu démocratique réside dans le dépassement de l'héritage de l'Egypte dynastique, particulièrement opposée à toute alternative, et la capitalisation de la formidable mobilisation populaire qu'il s'agit d'instituer en puissant levier du changement rêvé. Tel est le défi de l'armée égyptienne, suspectée de traîner les pieds après avoir été portée aux nues. Pour l'auteur de «l'immeuble de Yacoubian» et un acteur influent du «Printemps égyptien», Alaa El Aswany, l'optimisme reste de rigueur. La raison en est que «le peuple exerce et maintienne une pression constante sur les militaires pour obtenir satisfaction à ses demandes». Il estime que si «l'armée n'a pas l'intention de garder le pouvoir», il s'agit, tout au plus, d'un «problème de traduction politique» qui consiste à traduire «le langage de la révolution dans celui, très différent de l'armée». La «révolution du Nil» va-t-elle reprendre son cours ?