A l'Université de Zurich, il y avait du beau monde. Les chefs de la diplomatie américaine, russe et européenne ont dressé le nouveau plan de bataille du Caucase qui ne laisse plus personne indifférent. A la faveur de la médiation suisse, conclue sous le sceau du rapprochement arméno-turc par la conseillère suisse Micheline Calvy-Rey, le rendez-vous avec l'histoire passait nécessairement par la mise à plat des relations conflictuelles hantées depuis près d'un siècle par le massacre arménien de 1915-1917 (un million et demi de victimes selon l'Arménie, 300.000 à 500.000 selon la Turquie) qualifié de génocide, et aggravé par le conflit armé arméno-azerbaïdjanais (1988-1994 et 30.000 morts) provoquant le raidissement des relations politiques et diplomatiques d'Ankara et d'Evran. La prise du Nagorny-Karabakh azerbaïdjanais par les forces armées arméniennes a contribué à l'approfondissement des divergences et à l'instauration d'une ère de tensions et d'instabilité. Ce lourd héritage sanglant a miné les fondements de la paix et de la stabilité dans la région du sud du Caucase de tous les enjeux et des rivalités aiguisées par l'intervention de certaines puissances comme ce fut le cas de la France validant la reconnaissance du génocide arménien en 2001, et le refus de l'intégration turque dans l'Union européenne viscéralement défendu par Sarkozy. Malgré des «difficultés de dernière minute», protocolaires somme toute, l'heure de la normalisation a largement sonné pour tourner la page sombre des rivalités, aux confins de l'Union européenne et aux confins du Caucase des convoitises naissantes. La médiation suisse réussie, au-delà de toutes espérances, concrétise une volonté de rapprochement des deux «frères-ennemis» assuré du consensus mondial. La «décision historique», ainsi perçue par l'UE, et le «bon exemple» crédité par Washington, profite assurément d'une convergence d'intérêts géopolitiques et commerciaux qui tendent à un assainissement de l'état des relations régionales et internationales, dominé par le bras de fer nucléaire (l'affaire des missiles US en Pologne et des radars de surveillance en Tchéquie, le syndrome géorgien et l'enjeu de l'élargissement de l'UE…). A la faveur de la nouvelle doctrine d'Obama, privilégiant le dialogue et la coopération internationale, la donne stratégique a initié une dynamique de rapprochement global. Elle motive le retour à la normalisation turco-arménien décidé enfin de passer à la table de négociations pour répondre aux exigences en dépassement des «décennies de conflit et de division». Des protocoles d'accords, paraphés en présence de la conseillère suisse, instituent une approche nouvelle visant au rétablissement des relations diplomatiques et l'ouverture des frontières, fermées au lendemain de la guerre arméno-azerbaïdjanaise. Il est aussi prévu la mise en place d'une commission internationale d'historiens chargée d'étudier et de rétablir les faits contestés de la guerre de 1915-1917. Le pas encourageant soulève les réticences de l'Azerbaïdjan appelant au «retrait des troupes arméniennes du territoire» et des adversaires qui se recrutent dans l'opposition turque et arménienne, voire même une partie des opinions nationales, lorsque le président arménien, Serge Sarkissian, n'y voit pas d'autres «alternatives». Au sud du Caucase, la bataille stratégique bat déjà son plein. Lever de rideau.