Près d'une décennie après la dérive républicaine, consacrant l'avènement de l'Amérique du «non-droit» et de la violation des libertés fondamentales, le procès des «détenus fantômes» des prisons secrètes et de l'enfer de Guantanamo rebondit. C'est au cœur même de Washington que la bataille des valeurs fait rage entre des républicains, défendant bec et ongles l'héritage honni de tous, et des démocrates acquis à la nécessité d'œuvrer à la réhabilitation de l'image détériorée de l'Amérique. Le procès d'El Mokh, de son vrai nom Cheikh Mohamed présenté comme étant le cerveau de l'attentat du 11/9, et de ses 4 affidés, est en soi un jugement par défaut de tous les extrémismes : ceux des apôtres du tout sécuritaire en Amérique et de leurs corrélégionnaires du djihadisme sortis tout droit des laboratoires de la CIA. Même combat dans cette convergence des intérêts stratégiques aux effets contraires. Nul doute. Si l'ordre impérial se prévaut indubitablement des désordres locaux, comme on peut constater dans la mise en œuvre de la théorie du «chaos constructif» chère aux néo-conservateurs, instituée au cœur du GMO (version irakienne) et du NMO (version libanaise), la thèse raciste de la «mission civilisatrice» reproduit les canons idéologiques de la recolonisation en marche faussement légitimée par la nouvelle menace du «péril vert» instrumentalisé à volonté de sa naissance jusqu'aux vagissements impériaux. Derrière la vitrine affichant avec ostentation la restauration de la légalité et le bannissement du recours aux procédures illégitimes, la face cachée de l'iceberg se propose de faire l'économie d'un vrai débat, libre et contradictoire, sur les tenants et les aboutissants de la forfaiture du 11/9 qui réservent des zones d'ombre épaisses sur le rôle du «commando aérien» et le scénario hitchcockien du «ground zero». Du pur JFK ou une conspiration des tenants du «choc de civilisation» qui sert au mieux les intérêts du puissant lobby israélien que les marchands de la mort trônant sur le marché militaro-industriel riches en opportunités d'affaires extrêmement juteuses ? Nulle ne saura la vérité, toute la vérité et rien que la vérité des journées dramatiques du 11/9. Dans cette Amérique, engluée dans un amas de contradictions internes et de lutte pour le pouvoir, le procès des «fantômes de Guantanamo» orchestre le montage de la justice américaine mobilisée pour le sauvetage des fondements de l'Amérique ébranlée dans ces certitudes et ses valeurs originelles. Dans le prolongement de la promesse de fermeture de Guantanamo, le retour d'Obama à la procédure de jugement dans les droits communs entend fermer le chapitre contesté des pouvoirs exorbitants des «tribunaux militaires», des violations des droits de l'homme et des pratiques avilissantes de la torture sous toutes ses formes. Le nœud gordien de l'affaire réside dans la tendance démocrate privilégiant le rétablissement du pouvoir judiciaire, arraché des mains, des militaires, et de l'alibi sécuritaire des républicains. La polémique bat son plein dans cette Amérique du rêve démocratique contre l'autre Amérique des vertus guerrières. Le malheureux candidat aux présidentielles, John Mc Cain himself, imbu du syndrome vietnamien : «Les terroristes qui nous ont déclaré la guerre doivent être combattus comme des criminels de guerre et traduits en justice pour leurs crimes devant les tribunaux militaires». Le «risque inutile», clamé par les familles des victimes, perpétue la logique revancharde qui se refuse d'accorder la moindre chance aux présumés coupables de «bénéficier de la protection des droits constitutionnels américains». A l'autre bout de la chaîne, la «grande victoire» du droit, prônée par l'ACLA, mobilisée depuis longtemps pour la défense des droits civils, annonce la déchirure américaine longeant la réalité extra-muros de Guantanamo et l'immanence du mode de vie instruit, intra-muros, des vertus de bien-être social et de quiétude.